Nicolas Bonnemaison, Jean Mercier : deux affaires judiciaires font progresser l’euthanasie en France

Nicolas Bonnemaison Jean Mercier affaires euthanasie
Jean Leonetti, député UMP auteur de la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie (Archives)

 
Condamnés, mais très légèrement. Deux affaires d’euthanasie sont venues devant la justice ces derniers jours : celles du Dr Nicolas Bonnemaison, accusé d’avoir empoisonné sept personnes âgées dans son service des urgences à Bayonne, et celle de Jean Mercier, un vieil homme qui a aidé sa femme, très malade, à se suicider en 2011. Deux ans avec sursis pour le premier, un an avec sursis pour « non assistance à personne en danger » pour le second : ce sont de peines symboliques certes, mais elles envoient un puissant message. Tuer son semblable n’est pas si grave si c’est par « amour » ou « compassion ». Conjuguées, ces deux affaires font d’autant plus progresser l’euthanasie en France.
 
L’affaire Bonnemaison est particulièrement significative. La cour d’assises de Maine-et-Loire, jugeant en appel, a bloqué dix jours de débats pour déterminer si l’urgentiste s’était rendu coupable de l’empoisonnement de sept personnes en « fin de vie » en 2010 et 2011 au Centre hospitalier de la Côte basque. Il encourait la perpétuité pour avoir « abrégé » leurs jours en leur administrant des doses disproportionnées d’Hypnovel, un somnifère, ou de curare, le Norcuron qui agit comme relaxateur musculaire.
 

Nicolas Bonnemaison et Jean Mercier condamnés au sursis pour euthanasie et suicide assisté

 
Nicolas Bonnemaison avait omis d’inscrire les doses administrées dans les dossiers de ces vieux patients – pas forcément en fin de vie, en réalité – lors de leur passage dans son service. Pour « protéger » les infirmières et autres soignants.
 
La cour d’assises de Pau a décidé en juillet dernier d’acquitter le médecin, au motifs qu’il n’avait pas d’« intention homicide ». On a voulu mettre ses actes sur le compte de la seule volonté de soulager les souffrances, quitte à hâter la mort. Par ailleurs, « l’enfant du pays » pouvait compter sur le soutien de la communauté médicale de la région. D’emblée, les réquisitions avaient été modestes : l’avocat général, Marc Mariée, n’avait demandé « que » cinq ans, éventuellement assortis du sursis, alors que l’homicide encourt la prison à perpétuité.
 
L’acquittement pur et simple du médecin, c’était aller un peu loin et le Parquet a fait appel. On chuchote aujourd’hui que la peine de deux ans avec sursis prononcée à cette semaine à Angers vise simplement à sauver la face du ministère public.
 
En définitive, sur les sept dossiers retenus, un seul aura abouti à une condamnation pour empoisonnement : celui de la mère de Pierre Iramuno, partie civile venu demander des comptes pour cette mort infligée. Les proches des autres défunts ont finalement approuvé le geste du médecin.
 

La volonté des mourants ou de leurs proches retenue comme excuse

 
Tout se passe en effet comme si la volonté des patients ou de leurs proches est de nature à excuser un geste objectivement homicide. A ce titre-là, la bataille de l’euthanasie a déjà été gagnée en France : dans ce type de dossiers, on s’intéresse davantage au fait de savoir si les défunts ou leurs proches ont été consultés, si leur mort a été « voulue », qu’à la matérialité des faits.
 
Au passage, on omet allègrement de s’inquiéter du fait que dans l’affaire Bonnemaison, aucune des victimes n’avait pu donner son avis. Bernard Kouchner, témoignant aux assises, a ainsi déclaré : « Bien sûr, le médecin n’est pas fait pour donner la mort. Celui qui doit choisir, c’est le patient. » Mais pour autant il n’a pas voulu voir en Bonnemaison un « assassin », mais quelqu’un qui avait été mu par la pitié. Jean Leonetti, l’un des auteurs de la prochaine loi sur la sédation profonde, a lui aussi déclaré que Nicolas Bonnemaison n’est pas un assassin. Il a même lâché : « Face à un patient qui ne peut s’exprimer, on est en devoir de procéder à une sédation. »
 

Les affaires judiciaires utilisées pour faire progresser l’euthanasie en France

 
Le Dr Bonnemaison a fait savoir qu’il ne se pourvoira pas en cassation contre sa condamnation pénale, mais il forme un pourvoi sur le volet civil de la cour d’assises d’Anger qui l’a condamné à payer 30.000 euros de dommages et intérêts au fils et à la belle-fille de Françoise Iramuno. Il pourra également demander le réexamen de sa radiation de l’Ordre des médecins en 2017.
 
Le cas de Jean Mercier, jugé par le tribunal correctionnel de Saint-Etienne pour avoir apporté à sa femme des médicaments qu’elle lui réclamait pour mettre fin à ses jours, relève davantage du fait divers. Même si l’homme de 87 ans se présente maintenant comme un champion du droit de mourir « dignement ». Il a déclaré à Metronews : « Un an de prison avec sursis ? Je m’en fiche éperdument. Tout ce que je souhaite, c’est qu’on parle davantage du droit à mourir dignement. On devrait avoir le droit de mourir quand on n’en peut plus… Ma fin de vie à moi, elle sera dédiée à cette cause-là. »
 
On comprend mal la qualification des faits retenue : la non assistance à personne en danger relève de l’abstention coupable. Ici, il y a une « aide » active : la préparation du poison, son administration à la victime. S’y ajoute le fait qu’elle était consentante.
 
La légèreté de la peine monte que le principe de la volonté des individus passe déjà devant l’ordre public et le droit de la société d’interdire le fait de donner volontairement la mort. Il est vrai que c’est un devoir oublié depuis bien longtemps : depuis le moment où l’avortement a été dépénalisé. Nous sommes dans la même logique.
 

Anne Dolhein