Charlie Gard a ouvert les yeux et regardé ses parents au moment de mourir : c’est la confidence déchirante faite par Chris Gard et Connie Yates dans une interview publiée par le Daily Mail de Londres. Et l’on apprend aussi que le bébé – courageux petit soldat jusqu’au bout – a mis 12 minutes à mourir depuis l’instant où sa ventilation a été stoppée. Douze longues minutes où son cœur a continué de battre, alors qu’il mourait techniquement, de suffocation. Il n’a pas bénéficié d’une mort naturelle au terme de sa vie, entouré des soins palliatifs dont il pouvait avoir besoin pour éviter de souffrir. On a décidé pour lui de l’heure de sa mort.
Dans cette affaire en effet, je n’ai pas souvenir qu’on ait parlé de son espérance de vie naturelle. Atteint d’une grave maladie génétique orpheline, un syndrome de déplétion de l’ADN mitochondrial, son état n’a cessé de se dégrader depuis le premier diagnostic posé lorsqu’il avait 3 mois. Si – contrairement à ce qu’avait affirmé le corps médical – Charlie ne souffrait pas de lésions cérébrales graves et irréversibles, l’état de ses muscles était, lui, en régression, de telle sorte qu’il n’était même plus possible de lui appliquer le traitement expérimental que désiraient pour lui ses parents.
Ce qui semble indiquer que, ses muscles se dégradant progressivement, il serait mort naturellement dans un avenir prévisible. On a pu lire ici ou là que sa résistance – Charlie avait près d’un an lorsqu’il a été… tué – était exceptionnelle. On n’a pas d’exemple de nouveau-né survivant aussi longtemps avec ce syndrome.
Charlie Gard a regardé ses parents
C’est ce qu’il faut avoir présent à l’esprit dans l’affaire Charlie Gard : si le cas peut se présenter sans doute où une ventilation artificielle installée en fin de vie peut être considérée comme un « soin extraordinaire », et que causant des souffrances démesurées, elle peut légitimement être débranchée, il n’en allait pas ainsi pour Charlie dont rien ne permettait de dire ni qu’il souffrait atrocement ni qu’il était à l’article de la mort.
En cette occurrence, ce sont les parents de Charlie qui, las, épuisés par les pressions de ceux qui leur reprochaient de prolonger inutilement ce qui n’était pourtant pas une agonie, ont accepté le principe du débranchement lorsqu’ils ont appris que l’état des muscles de leur enfant s’était dégradé. Objectivement ils ont consenti à la mort prématurée du bébé, même s’il est humainement compréhensible qu’ils se soient trouvés démunis à l’issue d’une éreintante suite de batailles judiciaires et neuf mois aux côtés de Charlie. Batailles qu’ils n’ont pas recherchées et pour lesquelles ils n’étaient pas armés : c’est lorsqu’ils ont refusé le principe du débranchement, à l’automne dernier, qu’ils ont eu la surprise d’être convoqués devant le juge par les autorités du Great Ormond Street Hospital (GOSH). Au fil des mois ils allaient apprendre que les parents n’ont aucun droit vis-à-vis de leur enfant lorsque le corps médical, l’administration et la justice en ont décidé autrement.
Il s’agit là d’un scandale terrible, l’ouverture d’un véritable droit d’euthanasier pour les autorités publiques.
Le récit poignant que font ses parents de sa mort pose quelques questions. Ainsi, semblait établi que Charlie devait recevoir une sédation profonde afin de ne pas souffrir de sa mort par suffocation. Or, transféré vers une maison de soins palliatifs (ses parents dans une autre voiture, flanqués de gardiens de sécurité !) Charlie a pu rester avec ses parents environ 5 heures. Ils l’ont promené dans le jardin dans une poussette (pouvaient-ils le faire à GOSH et sinon, pourquoi ?). Il a été réinstallé dans sa chambre. On est venu prévenir Chris et Connie que le respirateur allait être coupé 5 minutes plus tard. Et ce fut fait, sans pitié et malgré les larmes et les supplications de Connie, par une simple coupure de courant qui a stoppé le flux d’air pulsé dans les poumons de l’enfant.
De l’euthanasie de Charlie à l’eugénisme pour ses futurs sœurs et frères
Sédaté, Charlie aurait-il « tenu » 12 minutes comme il l’a fait ? Son cœur n’était-il pas un muscle, affaibli par sa maladie ? Comment a-t-il pu ouvrir les yeux et regarder ses parents alors qu’on le disait sans conscience de son entourage (chose à laquelle ses parents n’ont jamais cru) ? Et s’il n’était pas sédaté, comment justifié la souffrance à laquelle Charlie a peut-être été soumis par ce geste somme toute brutal même s’il est mort de sa maladie ?
Ses parents ont pu malgré tout ramener le corps de leur enfant chez eux et le veiller, en attendant les funérailles qu’ils organisent.
On apprend, non sans effroi, que Chris et Connie espèrent avoir prochainement un nouveau bébé. Effroi, non pas parce que leurs patrimoines génétiques réunis risquent de susciter un nouveau tout-petit atteint par la maladie qui a emporté Charlie Gard. Mais parce qu’ils ont indiqué, tout en disant leur peine devant la mort de leur premier-né, qu’ils auront recours au diagnostic préimplantatoire pour leurs prochains bébés.
En clair : ils vont avoir recours à des fécondations in vitro permettant de « fabriquer » plusieurs embryons parmi lesquels on triera ceux qui sont porteurs ou non du défaut génétique dont était frappé Charlie Gard. On implantera un ou des embryons sains, les autres étant voués à la destruction.
C’est ce qui s’appelle l’eugénisme : l’élimination des non-conformes.
L’affaire Charlie Gard aura fini dans l’ambiguïté.
Jeanne Smits
Article publié initialement sur Le blog de Jeanne Smits