Le Mouvement russophile international, créé l’an dernier à Moscou à l’initiative du socialiste bulgare Nicolay Malinov, a tenu ces lundi et mardi 26 et 27 février son deuxième congrès. La première journée a pris la forme d’un forum sur la multipolarité, terme cher à tous ceux qui se posent en adversaires à l’universalisme occidental, tandis que la seconde était consacrée au mouvement russophile proprement dit, avec un objectif clair : se mettre d’accord sur la nécessité d’une « structure mondiale multipolaire ». « Basée sur le respect mutuel », comme ils disent, mais fondamentalement tout de même une structure mondialiste à sa façon. (De ce mondialisme qui se construit par étapes régionales, comme le soulignait récemment Alex Newman de TheNewAmerican).
Comme l’an dernier, l’événement a reçu la bénédiction de Vladimir Poutine et la participation de membres éminents de son administration. Cela mérite d’autant plus d’être noté que les « cerveaux » du MIR ne sont autres que l’oligarque Konstantin Malofeev, dont la fondation Saint-Basile a fait beaucoup de lobbying auprès des mouvements pro famille en Occident, et son penseur attitré, participant à toutes ses initiatives médiatiques, le philosophe gnostique Alexandre Douguine. Ce concepteur de la « Quatrième théorie politique » s’inscrit dans la lignée de René Guénon et de tout un aréopage d’occultistes décrits ici par John Lamont… Sans aller jusqu’à dire que Douguine est l’éminence grise de Poutine – on n’en a pas la preuve – on constate au moins la cohérence et la communauté de pensée entre les deux hommes.
Poutine a envoyé un message au 2e congrès Mouvement russophile international
Poutine, donc, a adressé ses salutations à ce deuxième congrès du MIR, soulignant que « le mouvement russophile apporte une contribution significative à la lutte contre les tentatives de l’Occident collectif d’isoler la Russie et contribue à diffuser des informations objectives sur le pays à l’étranger ». Il l’a également félicité pour son travail contre ce qu’il appelle « les fabrications anti-russes et les mythes de propagande ».
Poutine a en outre salué le fait que le forum actuel réunissait des centaines de délégués de plus de 130 pays de tous les continents – en progrès donc, par rapport au premier congrès qui avait réuni 90 personnalités représentant 42 pays. « Une composition aussi représentative des participants démontre clairement que le mouvement social international des russophiles se développe et se renforce avec confiance, gagnant de nouveaux partisans », a déclaré le chef de l’Etat.
Les réunions se sont tenues au pôle Lomonosov à Moscou, et ont été honorées de la présence du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov qui a d’ailleurs lu le message de Poutine, et qui a déclaré, sans rire : « Notre pays poursuivra une politique étrangère pacifique et constructive fondée sur la non-ingérence dans les affaires des autres Etats. » Et de promettre « un ordre multipolaire plus juste, conçu pour assurer la prospérité de toute l’humanité, et pas seulement du soi-disant « milliard d’or ».
Tous ont été d’accord pour dire que Poutine est le champion de toutes leurs valeurs.
Le Mouvement russophile international prêche la paix et la bonne volonté (et soutient l’invasion de l’Ukraine)
La porte-parole du ministère des Affaires étrangères russes, Maria Zhakarova, s’est également exprimée, à l’ouverture du Forum sur la multipolarité. Elle a dénoncé « l’antagonisme » des uns envers les autres qui a cours aujourd’hui, affirmant que la Russie offre le contraire : « Nous établissons un programme unificateur. Il n’y a aucune condition préalable, ce n’est pas obligatoire, cela ne représente pas une forme de dictature, de contrôle administratif ou d’éléments de totalitarisme. Il s’agit d’une unification basée sur cette bonne volonté dont on parle si peu aujourd’hui. »
Est-ce pour cela que la Chine notamment a été au centre des débats ? Cette Chine toujours communiste dont « le rôle dans un monde multipolaire » a été exalté, et qui était notamment représentée par Eric X. Li, fondateur du média en ligne Guancha, qui porte la parole « nationaliste » chinoise. Guancha se présente comme un média indépendant, ce qui ne laisse pas de surprendre dans un pays aussi contrôlé par le pouvoir communiste que la Chine. Mais étant donné qu’Eric Li, diplômé de Berkeley et de Stanford, chéri de bien des plateformes mondialistes comme l’Aspen Institute et Carnegie Endowment for International Peace proclame haut et fort son attachement au système du parti unique en Chine et qu’il a soutenu lors d’un TED Talk que la démocratie électorale ne fonctionne pas, ses positions ne se distinguent pas de l’idéologie du pouvoir pour être inquiété par ce dernier. D’ailleurs ses proches collaborateurs sont des proches du pouvoir.
Li a pu écrire dans Foreign Policy, à la suite des confinements tyranniques qui ont accompagné le covid 19 en Chine, que la réponse de cette dernière à la pandémie prouvait une nouvelle fois que le système du parti unique chinois n’est pas seulement supérieur aux gouvernements démocratiquement élus, mais plus populaire. « Seul un haut degré de confiance du peuple en l’expertise et la capacité de ses institutions politiques peut aboutir à une telle observance », a-t-il osé.
Le 2e congrès russophile accueille la fille de Che Guevara
Mais la propagande ne s’arrête pas là. Le site Tsargrad de Malofeev et Douguine a annoncé très clairement la couleur : « Le plan d’effondrement de l’Occident est prêt : les élites de 130 pays sont réunies à Moscou. » « Elites » européennes notamment : on notait la présence de Pierre de Gaulle, petit-fils de Charles de Gaulle, présenté comme « partisan de la Grande Europe de l’Atlantique à l’Oural et altermondialiste », et l’animation d’une des conférences par Fabrice Sorlin, Français installé à Moscou. D’autres Français ont-ils assisté ? On l’apprendra par la suite, mais notons également la présence – parmi beaucoup d’autres – de l’Afro-Américaine Cynthia McKinney, ancien membre de le Chambre des représentants des Etats-Unis, élue en 1992 sous l’étiquette démocrate, passée plus tard au parti écologiste américain.
Le MIR a également accueilli la fille aînée d’Ernesto « Che » Guevara, Aleida, marxiste revendiquée, grande admiratrice de son sanguinaire papa, et auteur d’un livre à la gloire de Chávez, le Venezuela et la Nouvelle Amérique latine.
Beaucoup d’invités venaient d’Afrique et du monde musulman. La « multipolarité » repose sur le respect de toutes les grandes religions dites « traditionnelles », considérées comme s’identifiant en quelque sorte à leurs grandes zones géographiques et qu’il s’agit de conserver (à l’exclusion de toute évangélisation, par conséquent).
Sur le plan géopolitique, le « sud global » a été au centre d’une session, toujours avec l’idée de soustraire les pays en développement de « l’hégémonie » occidentale ; mais en fait, de s’appuyer une ligne de fracture, une dialectique de plus.
Alexandre Douguine veut créer un « nouveau monde » avec le Mouvement russophile international
A ce sujet, Alexandre Douguine a déclaré :
« Les gens qui construiront un nouveau monde multipolaire se sont rassemblés ici. A cet égard, ils sont plus que des personnes partageant les mêmes idées. Le concept de personnes partageant les mêmes idées suggère que nous avons une idée. Mais nous n’avons pas encore d’idée en tant que telle – nous la développons simplement et la recherchons. Et ces gens représentent leurs civilisations – chinoise, indienne, islamique, africaine, latino-américaine. Des civilisations alternatives à l’Occident, qui aujourd’hui cherchent elles aussi leurs propres idées. Ce qui nous unit, c’est que nous rejetons catégoriquement l’hégémonie américaine et un monde unipolaire. Mais nous ne savons toujours pas vraiment quel genre de monde nous voulons. Oui, à l’heure actuelle, nous sommes unis par notre rejet de l’hégémonie américaine. Nous ne voulons absolument pas de cela et du libéralisme. Tous ceux qui sont présents ici ne le souhaitent pas, y compris les représentants des pays occidentaux eux-mêmes qui sont venus à Moscou ces jours-ci. C’est ce qu’on appelle la contre-élite. Il existe des élites dirigeantes – les mondialistes – et une contre-élite mondiale. Et aujourd’hui, elle est en Russie. Ce sont des gens dotés d’un potentiel intellectuel, d’une éducation, d’une volonté et d’un savoir énormes qui ne sont pas d’accord avec la classe dirigeante occidentale. Cette contre-élite s’est rassemblée ici pour construire les paramètres d’un monde multipolaire. Nous créons véritablement un nouveau monde. Et ce n’est pas pathétique. »
Il n’est pas besoin de partager le rejet de la civilisation et de la morale chrétiennes par les dirigeants mondialistes en Occident pour ne pas être d’accord avec cette approche qui met tout le monde à la remorque de Poutine… Qui n’est pas, quoi qu’on en dise, le champion du christianisme.
Venu des Comores, Muhammad Maarouf, diplômé d’une université soviétique, responsable de programme de l’ONU, s’en est pris notamment à la France :
« Toute l’Afrique aujourd’hui est pour la Russie. Parce que votre pays a toujours lutté contre les colonialistes occidentaux, n’a jamais exploité les esclaves de notre continent et a contribué au développement souverain des pays africains.
« Après tout, que fait la France aujourd’hui, par exemple, en Afrique ? Les Français pillent les pays africains. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, ils créent l’instabilité dans les pays du Sahel.
« C’est pourquoi aujourd’hui, moi-même et de nombreux autres Africains sommes à Moscou pour soutenir la Russie dans la lutte contre le néo-colonialisme. »
L’URSS gardienne des libertés !
L’ancien premier ministre de la République slovaque, l’octogénaire Jan Czarnogursky, anti-communiste historique pourtant, lui aussi « russophile », a eu les honneurs de la tribune en tant que plus haut gradé politique étranger assistant à la réunion du MIR ce mardi. Il a déclaré :
« Nous pouvons dire au monde qu’à des moments clefs de l’histoire du monde, les Russes ont défendu et préservé leur liberté et celle des autres peuples. La dernière fois, lors de la Seconde Guerre mondiale (pour la Russie dans la Grande Guerre patriotique), sans la lutte et les sacrifices de la Russie (URSS), la victoire sur Hitler n’aurait pas été décisive. »
La liberté des autres peuples, vraiment ? Et Yalta ? Et le partage de l’Europe qui a jeté la Tchécoslovaquie sous la coupe soviétique ?
Czarnogursky a poursuivi :
« Après la guerre et jusque dans les années 1970, sans le soutien direct ou indirect de la Russie, de nombreux pays n’auraient pas pu se libérer du joug colonial. Même maintenant. (…) »
Oui, la décolonisation a été encouragée, soutenue, armée par l’Union soviétique, et exécutée bien souvent dans le sang. Et de nombreuses ex-colonies ont plongé dans la tyrannie et la misère communistes. Faut-il oublier cela par « russophilie » ?
La chaîne Youtube d’Afrique Média publie justement la vidéo du Forum sur la multipolarité avec un doublage français. On y voit l’intervention lue par vidéo de Mgr Carlo-Maria Viganò, qui avait déjà pris la parole lors du premier congrès du MIR l’an dernier. Elle était suivie de celle d’un philosophe islamique spécialiste de l’eschatologie islamique, Cheikh Imran Hosein, ancien de l’université Al-Azhar du Caire, qui a prêché la « diversité » et « la fraternité de l’humanité dans cette diversité », contre ceux qui se sentent « supérieurs » dans le cadre de l’« unipolarité » et cherchent à « civiliser les autres ».
Le panafricanisme à l’honneur : le 2e congrès du MIR prêche aussi une forme de mondialisme
Le pan-africaniste franco-béninois Kémi Seba, suprémaciste noir un temps officiellement bigame, connu pour avoir qualifié les Blancs de « leucodermes » et prôné l’apartheid, a lui aussi pris la parole. Il a été cité par Le Monde comme avouant avoir été soutenu matériellement par Evguéni Prigojine en échange « d’appeler la jeunesse africaine à mener des actions violentes contre les intérêts français en Afrique »… Né musulman, il est aujourd’hui « kémite » – religion inspirée de l’Egypte antique à partir de laquelle il a créé sa célèbre Tribu Ka – et rejette bruyamment les « dogmes et doctrines occidentaux adoptés par les Africains » et qui « constituent les piliers de l’enracinement du sous-développement en Afrique », selon le journal béninois Notre époque.
Son discours à Moscou était plus lisse. Mais le message qu’il véhicule résume la haine de l’Occident. L’Occident déchu le mérite bien, diront certains. Mais il n’est pas l’unique objet de ce ressentiment contre le continent qui a porté la foi catholique aux confins du monde.