L’Afrique méprise la fille aînée de l’Eglise moderniste

Afrique méprise Eglise moderniste
 

La France a été tenue longtemps pour la fille aînée de l’Eglise romaine, puis pour l’émancipatrice des nations. En Afrique, entre le troisième quart du 19ème siècle et la première moitié du vingtième, elle représenta les deux : la colonisation française eut ses ombres et ses lumières et l’on peut compter parmi celles-ci l’évangélisation. La floraison des missions catholiques parties de France est encore chérie par beaucoup de fidèles et de prêtres, alors qu’ils sont horrifiés par les nouveautés d’un certain cléricalisme vaticanesque, comme le montre leur réaction à Fiducia Supplicans. Et désolés par la réaction de Paris, de sa conférence épiscopale et de ses ministères à la déchéance moderniste autorisée par Rome. La réaction du Cameroun en été 2023 à la venue de notre « ambassadeur pour les droits des personnes LGBT » montre que le continent noir méprise un « progrès » qu’il considère comme une « antivaleur », et ce mépris explique le désamour de l’Afrique pour la France mieux que les considérations habituelles sur le rôle de la Chine, la Russie ou les Etats-Unis. Aussi la nomination de Gabriel Attal, jeune homme ouvertement homosexuel, au poste de premier ministre, est-elle vue d’un œil critique tant par l’homme de la rue que la presse et les élites politiques et religieuses.

 

L’Afrique voit dans Fiducia Supplicans un risque pour l’Eglise

La levée de boucliers des épiscopats africains contre Fiducia Supplicans manifeste le refus des nouveautés promues par l’Eglise d’Allemagne, dont le père Jésuite américain Martins, le cardinal Fernandez et plusieurs prélats de France, d’Amérique du Sud ou d’Europe se font les hérauts passionnés, et le mépris des « antivaleurs » que le « progressisme » occidental prétend répandre dans le monde entier. En cette matière, le Salut pourrait venir par l’Afrique (et l’Europe de l’Est), de ces « périphéries » si chères, sur le papier, à la camarilla qui a saisi la barre de la barque romaine, mais dont elle ignore la véritable condition et méprise les convictions. De cette résistance de l’Afrique, le Cardinal Sarah est depuis de nombreuses années une figure phare. Il oppose la doctrine intemporelle de l’Eglise à la dérive moderniste qu’il voit triompher en Europe dont les conférences épiscopales allemande et française concourent alternativement au titre de fille aînée.

 

L’Eglise ne se réduit pas à une camarilla occidentale

Dès 2015, il ferraillait contre la révolution arc-en-ciel imposée par l’Occident dont Rome s’est fait la complice : lors d’un synode, il déclarait : « Ce que le nazisme et le communisme étaient au XXe siècle, l’homosexualité occidentale et les idéologies abortives et le fanatisme islamique le sont aujourd’hui. » En ajoutant : « l’Afrique et l’Asie doivent absolument protéger leurs cultures et leurs valeurs propres », préservant ainsi l’Eglise d’une « vision occidentale de la famille ». Il précisait sa pensée au Puy du Fou en 2017 : « L’idéologie du genre, le mépris de la fécondité et de la fidélité sont les nouveaux slogans de cette révolution. Les familles sont devenues comme autant de Vendée à exterminer. On planifie méthodiquement leur disparition, comme autrefois celle de la Vendée. L’Afrique comme la Vendée résistera. (…) C’est désormais dans le cœur de chaque famille, de chaque chrétien, de tout homme de bonne volonté, que doit se lever une Vendée intérieure ! »

 

L’Europe moderniste doit retrouver ses racines chrétiennes

En 2016, il déclarait au Figaro : « Les statistiques montrent qu’il y aura dans un avenir très proche un grave déséquilibre culturel, religieux et démographique en Occident. Décadent, sans enfants, sans familles, l’Occident disparaîtra, noyé et éliminé par une population d’origine islamique. L’Occident a renié ses racines chrétiennes. Mais un arbre sans racines meurt. » Pour lui, la faute de l’Europe est double : « Comment les nations africaines vont-elles se développer si tant de travailleurs font le choix de l’exil ? Quelles sont ces étranges organisations humanitaires qui sillonnent l’Afrique pour pousser de jeunes hommes à la fuite en leur promettant des vies meilleures en Europe ? (…) L’Europe semble programmée pour s’autodétruire. (…) Elle doute d’elle-même et a honte de son identité chrétienne. C’est ainsi qu’elle finit par attirer le mépris. » Et d’appeler à une « réforme de l’Eglise » pour échapper à « une grande crise de toute l’humanité » due à l’apostasie de l’Europe dont il voit « quelques prémices ».

 

La France missionnaire, fille aînée de l’Eglise

Pourtant, derrière cette ferme condamnation subsiste un véritable amour de la France, fille aînée de l’Eglise, et de ses missionnaires. « Je n’oublie pas que si j’ai reçu avec ma famille la connaissance du Christ, c’est grâce à des missionnaires français. (…) Pour nous, Africains, comment comprendre que les Européens ne croient plus à ce qu’ils nous avaient donné avec tant de joie, dans les pires conditions ? » Il donne en exemple la formation qu’il a reçu des Spiritains : « Toutes nos journées étaient pensées en fonction d’une discipline de l’esprit et du corps. Cette ascèse était comprise comme un chemin de sanctification et d’imitation de Jésus. » Rappelons que Mgr Lefebvre exerça la fonction de supérieur du scolasticat des Spiritains (dont il devint supérieur général) avant d’être nommé évêque de Dakar en 1947, chargé par Pie XII de créer en Afrique française un solide clergé africain. Cela a donné d’excellents fruits qui s’opposent aujourd’hui à la fièvre moderniste.

 

Le salut par l’Afrique

Mais le cardinal Sarah n’est pas seul, comme l’ont montré tous les évêques d’Afrique. Leur refus de Fiducia supplicans pouvait se prévoir dès le début du chemin synodal. Voici ce que disait en effet Mgr Fortunatus A. Nwachukwu, évêque biafrais, dans un entretien avec le P. Johannes Laichner à Innsbruck, à propos du chemin synodal allemand : « L’Eglise universelle pense différemment et ne vit pas la foi comme on l’entend actuellement dans les pays germanophones. (…) Nous sommes convaincus que s’écouter les uns les autres dans l’esprit de l’Evangile commence par l’écoute de la volonté de Dieu et non des voix les plus stridentes dans le concert de la multitude. C’est cela la synodalité au sens biblique : écouter le Seigneur ensemble. (…) Autrefois, l’Europe a apporté la foi au continent africain, aujourd’hui l’Afrique peut lui rendre une foi vivante et fidèle. » Le salut par l’Afrique, en quelque sorte, face à la menace de « division de la foi » que font peser sur l’Eglise les théologiens allemands.

 

Gabriel Attal, une méprise française

Pour l’Afrique, les politiciens français représentent une menace analogue. Le Dakar Times a fait sa Une sur « Le regard de l’Afrique sur le premier ministre gai ». Selon le grand quotidien sénégalais, avec « Gabriel Attal nouveau chef du gouvernement, le lobby homosexuel prend le pouvoir en France ». Pour lui ce devrait être un « obstacle » dans les « relations heurtées entre Paris et certains pays africains ». Citant le rapport 1841 de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française et l’incident qui a valu à l’ambassadeur LGBT de France d’être déclaré « persona non grata » au Cameroun, le Dakar Times conclut en première page : « En réalité, il n’existe pas de sentiment antifrançais en Afrique. Les Africains s’opposent plutôt à des pratiques qu’ils qualifient d’antivaleurs parce que non conformes à leurs us et coutumes. » Il désigne ainsi la méprise de ceux qui attribue à quelque ancienne aversion ce qui n’est que le produit d’une maladresse française récente.

 

L’Afrique face au néo-colonialisme arc-en-ciel

D’une manière générale, l’Afrique a le sentiment de subir, de la part des grands pays dits démocratiques du Nord, une sorte de néocolonialisme arc-en-ciel visant à lui imposer les us occidentaux. Quand le président ougandais Museveni a promulgué en 2014 une loi condamnant tant les actes homosexuels que la promotion de l’homosexualité, la communauté internationale a immédiatement réagi. La Suède, les Pays-Bas, les Etats-Unis bloquaient leurs aides. Les juges de la cour suprême ougandaise, soumis à la propagande arc-en-ciel des pays anglosaxons, invalidèrent la loi. Museveni se soumit. Depuis, selon l’organisation Family Watch International, plusieurs « pays occidentaux versent des millions de dollars pour pousser à une éducation qui promeut la promiscuité, la bestialité, la pédophilie aux enfants africains », et quand l’Ouganda a voté une nouvelle loi en mai 2023, cela a provoqué une levée de boucliers dans la communauté internationale qui l’a jugée « déplorable » (UE), « odieuse » (ONU) et « honteuse » (Biden).

 

La fille aînée de l’Eglise moderniste fait de la promotion LGBT

La France a choisi une voie plus insinuée qui suscite moins de peur mais plus de mépris chez les Africains. En campagne électorale, Emmanuel Macron avait promis de créer un poste « d’ambassadeur pour les droits des personnes LGBT » avec la mission suivante : « Alors que l’homosexualité et la transidentité sont toujours pénalisées par de nombreux Etats et que les droits des personnes LGBT+ sont remis en cause à travers le monde, l’ambassadeur aura pour mission de porter la voix et l’action de la France en la matière, avec le soutien de l’ensemble du réseau diplomatique français. Il réitèrera l’engagement de la France en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la défense des droits des personnes LGBT+, et apportera tout son soutien aux organisations de la société civile qui œuvrent souvent dans des conditions difficiles. » En octobre 2022, Macron nommait à ce poste Jean-Marc Berthon, l’un de ses conseillers. C’est lui qui a provoqué l’incident du Cameroun.

 

Le flop de l’ambassadeur rose

Berthon avait prévu pour la fin juin une visite de travail à Yaoundé, capitale du Cameroun, avec le 30 juin une conférence-débat sur les définitions de genre, de l’orientation et de l’identité sexuelle suivie d’un spectacle à l’Institut français du Cameroun. Le ministère des relations extérieures du Cameroun a manifesté son désaccord et une note verbale a été transmise à l’ambassadeur de France. La position du gouvernement camerounais est « claire et dénuée de tout débat ». La France fait la promotion d’une chose « qualifié de crime de droit commun » au Cameroun. L’article 347-1 du Code pénal prévoit « une peine de six mois à cinq ans de prison et une amende allant jusqu’à deux cent mille francs pour toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ». Berthon a dû annuler son voyage. Un politologue camerounais a commenté : « La Chine vient avec des projets d’infrastructures, l’Inde avec des projets agricoles, la Russie avec des projets sécuritaires. Tout ce que propose la France, c’est la promotion de l’homosexualité. »

 

La méprise de Paris sur l’Afrique qui méprise Paris

Le gouvernement camerounais en fait une question de souveraineté. Il a demandé à Berthon et à « l’ambassade de bien vouloir se conformer à cette position du gouvernement camerounais ». Le Cameroun craint une sorte de néo-colonialisme arc-en-ciel. Le Parti camerounais pour la réconciliation nationale s’inquiète : « Il y a lieu de se demander si le sujet LGBT+ est désormais une problématique diplomatique bilatérale entre le Cameroun et la France. S’inscrit-elle dans le prolongement de l’impérialisme culturel ? » La prolifération des publicités pro-LGBT+ est particulièrement inquiétante. Le député Cabral Libii dénonce « les bouquets de télévisions étrangères qui, ces derniers temps, inséminent dans l’enfance la culture LGBT+ avec des dessins animés allusifs et parfois explicites ». Et le Conseil national de la communication a menacé de suspension toute chaîne qui diffuserait « des programmes laissant apparaître des scènes d’homosexualité, préjudiciables au bon ordre social, a fortiori à l’enfance et à la jeunesse (…) conformément à la Constitution, aux lois et règlements en vigueur ».

 

Ni Rome ni Paris ne tiennent compte de la réalité

Bruno Fuchs et Michèle Tabarot ont tiré de l’incident des leçons dans le rapport 1841 de la Commission des Affaires étrangères, dont Emmanuel Macron n’a manifestement pas tenu compte en nommant Gabriel Attal. Reconnaissant que « le mode opératoire diplomatique de la France n’est pas efficace », les deux parlementaires écrivent : « Les homologues diplomatiques du continent critiquent l’approche française de promotion des droits des personnes LGBT+, jugée intrusive et parfois contre-productive. (…) La tenue de cette conférence dans un pays où l’homosexualité est passible de six ans d’emprisonnement a été considérée, dans toute l’Afrique, comme une provocation. » Si l’Elysée continue comme cela, il ne faudra pas s’étonner que la France soit jetée dehors de toute l’Afrique, comme du Mali et du Niger. Et la remarque vaut pour l’Eglise, dont elle fut la fille aînée et dont elle reste l’enfant déchue : si le Vatican persiste dans le chemin schismogène frayé par l’Allemagne, il ne suscitera qu’incompréhension, mépris, désolation, et pour finir refus décidé d’obéissance.

 

Pauline Mille