“Russia Today” aime bien les transgenres… en Inde

Russia Today transgenres Inde
 

Russia Today a beau s’y défendre de verser dans l’idéologie du genre style « LGBTQ+ occidentale », l’exercice est trop difficile dans ce reportage que vient de publier le média russe contrôlé par le Kremlin. Sous le titre bien explicite : « Démocratie trans : cinq candidats transgenre à l’élection de 2024 en Inde cherchent à récupérer le respect dont il jouissait depuis des millénaires », la version anglophone de rt.com évoque largement les « trans », les « non-binaires », « inter-sexes » et autres « troisième genre » pour vanter la « tolérance » dont ces personnes ont fait l’objet avant que la colonisation britannique ne vienne pénaliser les « pratiques de castration d’enfants kidnappés » et les travestis qui dansaient comme des femmes sur les places publiques.

Aujourd’hui, explique ce long article de près de 2.500 mots, abondamment illustré, l’Inde compte plus de 48.000 votants transgenres dans un corps électoral de 970 millions de personnes ; sur les 8.039 candidats, rt.com en dénombre 3 qui se revendiquent tels (un quatrième s’est désisté, un cinquième était candidat dans l’Andhra Pradesh où les scrutins étaient déjà ouverts à la mi-mai). La place accordée à cette petite poignée de « trans », insignifiante dans un pays qui compte près d’un milliard d’électeurs, est en tout cas révélateur d’un choix éditorial délibéré.

 

“Russia Today” aime les transgenres en Inde : au nom de la multipolarité ?

D’emblée, on nous dit que « l’Inde a longtemps fait preuve de tolérance à l’égard des personnes transgenres, mais cela n’a rien à voir avec le mouvement LGBTQ+ occidental ». « En effet, explique la journaliste, les Indiens essaient simplement de surmonter les lois de l’ère coloniale qui ont tenté d’éradiquer leurs propres traditions ancestrales sur le “troisième sexe”. »

Pourvu, donc, que le transgenrisme fasse partie de la « mémoire longue », de ces « traditions ancestrales » qui se vaudraient toutes et doivent trouver leur place dans la multipolarité vantée aussi bien par le pouvoir russe que par le « penseur » gnostique Alexandre Douguine, il est bon et acceptable. Même si, visuellement, il n’a pas tant à envier aux particularismes visuels de la chose dans les médias occidentaux.

 

La propagande du Kremlin a plusieurs faces : dialectique, toujours…

La dénonciation du colonialisme est également l’un des leviers de ce texte, comme elle l’est dans de nombreux articles des médias russes financés par le pouvoir ou proches de lui : pas n’importe lequel ; il s’agit de l’entreprise coloniale de l’Europe occidentale rejetée à 100 % et sans bénéfice d’inventaire. Au fond, le wokisme et les éléments de langage de cette presse russe ont beaucoup en commun.

D’emblée la journaliste Saritha S. Balan invoque les religions traditionnelles de l’Inde pour justifier son point de vue si favorable au « troisième genre » : ils figurent dans les textes sacrés, juridiques, médicaux, astrologiques des Hindous, mais aussi dans le jaïnisme et le bouddhisme, et plus anciennement dans la culture védique, explique l’article. Même les trois genres de la grammaire Sanskrit seraient dérivés de ces « trois genres naturels ». Sans compter les occurrences de changement de sexe des dieux comme Vishnou ou Krishna qui deviennent femmes quand cela les arrange dans la mythologie indienne…

 

Le panégyrique de rt.com sur les eunuques et les transgenres

Suit un panégyrique des eunuques à l’époque du pouvoir musulman des Moghols en Inde : « conseillers politiques, administrateurs, généraux ainsi que gardiens des harems » on les considérait « intelligents, dignes de confiance et férocement loyaux, et ils avaient accès à toute la population ». Des gens épatants !

Aujourd’hui, explique rt.com, des candidats aux élections cherchent à reconquérir cette estime – et de citer un « non-binaire » en cours de « transition » chirurgicale, Rajan Singh, qui bénéficie d’une protection policière. Il y a même un moine transgenre d’« extrême droite », Hemangi Sakhi qui s’habille en femme et se promène avec un trident – et qui s’est désisté contre la promesse de voir les revendications transgenres transmises à Narendra Modi.

Au passage, rt.com fournit quelques détails sur les transgenres : ce sont des personnes qui « ne s’identifient plus avec le sexe qui leur a été assigné à la naissance » et qui éventuellement prennent un traitement hormonal ou se font opérer pour devenir « transsexuels » ; on apprend aussi que les « gender-neutral » sont des individus dont on parle sans évoquer leur masculinité ou leur féminité.

Il s’agit notamment des « hijras », le plus souvent nés mâles et s’habillant comme des femmes ; en Inde, beaucoup d’entre eux subissent une « castration rituelle » évoquée dans l’article de rt.com, cérémonie au cours de laquelle leurs organes sont offerts à la déesse hindoue Bahuchara Mata. D’après rt.com, ils seraient environ quatre millions aujourd’hui en Inde.

 

Russia Today promeut une artiste « queer » en Inde

L’article souligne également, après quelques portraits de ces personnes qui ressemblent fort aux récits des « transgenre » en Occident, que la fin de l’ère coloniale a permis aux individus du « troisième genre » de reprendre peu à peu leurs droits, le tout culminant dans une décision de la Cour suprême indienne en 2014 aux termes de laquelle « les personnes transgenres ont le droit d’être légalement reconnues selon leur genre auto-identifié, y compris le troisième genre ». En conclusion, il y a même un couplet sur une « artiste queer » et sur la tendance des partis à devenir « inclusifs ». Et une incitation aux transgenres à chercher à se faire représenter dans les corps électoraux.

Intéressant, non, venant d’un média financé par le Kremlin dont on nous explique si volontiers qu’il est, avec Poutine, le champion des valeurs familiales traditionnelles ? Il est vrai que le 20 mai, rt.com en sa version hispanophone s’en prenait aussi à Francisco Sánchez, membre du gouvernement Milei en Argentine sous le titre : « Contre le divorce et l’avortement : le secrétaire au Culte appelle à retrouver des “valeurs de 1492” : le fonctionnaire a provoqué un scandale en participant à un sommet organisé par l’ultra-droite à Madrid. »

L’article s’achève sur des réactions de l’opposition socialiste en Argentine, en concluant par celle-ci de Pablo Secchi de « Poder Ciudadano » (« pouvoir citoyen ») : « Gardez-vous de penser que le fonctionnaire n’est qu’un conservateur. Le secrétaire est grossier, homophobe et classiste. Ce n’est pas la même chose. »

Vous avez dit double langage ?

 

Jeanne Smits