Katyń – La leçon d’histoire soviétique du ministre de la Culture de la Russie à l’intention de la Pologne et des Polonais

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Le ministre de la Culture de la Russie, Vladimir Medinsky, inaugurait le 20 avril à Katyń un mémorial avec un musée qui ouvrait ses portes sur une exposition traitant de l’histoire de la Russie et de la Pologne au XXe siècle. À cette occasion, le ministre russe a publié un article intitulé « Les leçons d’une histoire commune » dans le noble but de rappeler tout ce que Russes et Polonais ont en commun. L’article du ministre Medinsky conclut d’ailleurs que Russes et Polonais sont deux peuples frères, tout en regrettant que la Pologne soit membre de l’OTAN et que des infrastructures militaires dirigées contre la Russie soient en cours d’installation sur son territoire. Pour Medinsky, cette attitude du gouvernement de Varsovie ne correspond pas aux vues de l’ensemble du peuple polonais à l’égard duquel les Russes nourrissent un immense respect et qu’ils considèrent comme faisant partie de leur famille.
 

Sous un ton fraternel, le ministre de la Culture russe ressert aux Polonais l’ancienne propagande soviétique

 
Serait-ce de l’ingratitude ? Sur le site d’un influent hebdomadaire polonais, Do Rzeczy, le journaliste Maciej Pieczyński, qui se spécialise dans les articles sur les républiques de l’ex-Union soviétique, exprime l’espoir que ce grand amour fraternel des Russes ne les incitera pas « à vouloir, comme cela se passait généralement dans le passé, forcer ‘le peuple polonais frère’ à ‘revenir dans la maison familiale’ ». Voilà le genre de sentiments qui expliquent sans doute pourquoi la Pologne attache une grande importance à l’OTAN et préfère malgré tout, après des décennies sans véritable défense antimissile et anti-aérienne, se doter de missiles Patriot pour faire face aux batteries de missiles S-300 et Iskander déployées dans l’enclave de Kaliningrad.
 

Le ministre de la Culture russe a appris l’histoire dans les anciens manuels scolaires

 
Mais il faut dire aussi que, si le ton fraternel du ministre de la Culture russe est plutôt de nature à promouvoir une réconciliation polono-russe sur le modèle de la réconciliation franco-allemande, le contenu l’est beaucoup moins. C’est en effet une leçon d’histoire soviétique que le ministre Vladimir Medinsky offre aux Polonais. Il ne nie certes pas la responsabilité de l’URSS dans le massacre d’environ 22.000 officiers polonais et membres des élites polonaises à Katyń au printemps 1940 – une responsabilité reconnue par l’URSS en 1990 –, mais il adopte le discours russe contemporain qui consiste à dire que ce crime ordonné par Staline ne visait pas que des Polonais et que nombres de citoyens soviétiques y ont aussi trouvé la mort, et que ces victimes soviétiques, y compris russes, y sont nettement plus nombreuses que les officiers polonais. Medinsky ne manque pas non plus, comme l’exige l’historiographie post-soviétique de la Russie actuelle, de faire un parallèle entre le crime du NKVD soviétique à Katyń et les soldats de l’Armée rouge qui ont trouvé la mort dans les camps d’internement polonais pendant la guerre soviéto-polonaise de 1919-21. Il est vrai que ces camps trop remplis dans une Pologne renaissante et en guerre connurent un taux de mortalité avoisinant les 20 % (entre 16.000 et 20.000 prisonniers morts sur un total de 80-85.000), ce que les historiens polonais ont toujours mis sur le compte d’épidémies mais que les Russes expliquent en parlant de camps de concentration polonais qui auraient précédé les leurs (où la mortalité était toutefois nettement plus élevée). À l’inverse, sur quelque 45.000 Polonais faits prisonniers par l’Armée rouge pendant la guerre de 1919-21, 19.000 (42 %) ne sont jamais revenus, mais de cela le ministre ne dit mot.
 

La libération de la Pologne par la Russie soviétique suivie de décennies d’étroite coopération économique et culturelle

 
Le ministre de la Culture russe ne se contente d’ailleurs pas de présenter la guerre d’indépendance de la Pologne contre la Russie soviétique comme une agression polonaise, mais il présente aussi, conformément à l’historiographie soviétique, l’agression de l’Armée rouge lancée contre la Pologne le 17 septembre 1939 comme une entrée de « l’Ukraine occidentale » et de la « Biélorussie occidentale » dans l’URSS. Un peu comme on entre dans l’UE aujourd’hui. Cette description euphémisée n’est pas suivi d’un rappel du million et quelques de Polonais de la zone occupée par les Soviétiques, en vertu du Pacte Ribbentrop-Molotov, déportés et dont une bonne partie (environ 900.000) ne sont jamais revenus. Pour les Russes, même aujourd’hui, la « Grande guerre patriotique » ne commence qu’avec l’agression d’Hitler le 22 juin 1941. Cette vision des choses vaut aussi pour l’homo sovieticus Vladimir Medinsky.
 
C’est pourquoi le ministre russe rappelle aux Polonais, dans cette leçon sur l’histoire commune des deux nations, la « libération » commune de la Pologne par l’URSS et ses alliés (communistes) polonais contre les occupants « fascistes » (en fait nationaux-socialistes, mais il ne faut surtout pas souligner la parenté idéologique entre communistes et nazis). Il leur rappelle le héros « commun » Konstanty Rokossowski, un Russo-Polonais qui a occupé les plus hautes fonctions, pour le compte de l’URSS, dans les instances dirigeantes de la Pologne communiste d’après-guerre. On en serait presque soulagés que le ministre russe n’en appelle pas à la mémoire du criminel soviétique Félix Dzerjinski, le fondateur aux origines polonaises de la sinistre Tchéka.
 
Le musée ouvert à Katyń, explique le ministre, racontera aussi l’histoire de l’énorme assistance matérielle fournie par l’Union soviétique à la Pologne populaire et l’étroite coopération culturelle et économique des années 1950-80. « Tous ces liens ont été inutilement rompus après la fin de l’URSS et du Pacte de Varsovie », regrette Vladimir Medinsky.
 

Les Polonais se méfient d’un pays où les responsables du massacre de Katyń redeviennent de plus en plus populaires

 
Curieusement, les Polonais, dans leur énorme majorité, ne le regrettent pas, eux. Au contraire, le journaliste Maciej Pieczyński s’étonne que le ministre russe puisse « oublier » de la sorte que cette amitié soviéto-polonaise était imposée. Alors certes, Medinsky n’a pas tort quand il affirme que les soldats soviétiques ont sauvé en 1944-45 la nation polonaise du génocide que lui préparait l’Allemagne nazie pour laisser la place à la colonisation germanique à l’Est après avoir exterminé Juifs et Tziganes, mais tant que les Russes croiront ou feront semblant de croire que la Deuxième guerre mondiale a commencé en juin 1941 et que l’Union soviétique a libéré la Pologne en 1944-45, il sera difficile pour eux d’obtenir la confiance des Polonais. La cote de popularité grandissante en Russie de Staline et de l’ancienne police politique ne fait rien pour arranger les choses.
 

Olivier Bault