Blatter, FIFA, Coupe du monde de foot 2022 au Qatar : une affaire politique mondiale

Blatter FIFA Coupe du monde Foot 2022 Qatar Affaire
 

Malgré les déclarations fracassantes du président de la FIFA Sepp Blatter contre les « Arabes », aussitôt démenties, l’enquête interne du comité d’éthique de cette même Fédération internationale valide la désignation du Qatar pour accueillir la Coupe du monde de foot 2022. Il s’agit d’une affaire politique de taille mondiale.
 

C’est une histoire beaucoup plus compliquée que le budget 2015 de la France, l’affaire Jouyet, ou la vaste manipulation menée autour de l’affaire de Sivens, c’est aussi une affaire qui met en jeu de bien plus gros intérêts et marquera plus profondément l’histoire : il s’agit de la coupe du monde de foot au Qatar en 2022.
 
Au commencement, il y a trois éléments principaux à envisager. Le Qatar, la Coupe du monde, et l’organisme souverain qui préside aux destinées de cette dernière, la FIFA, Fédération internationale de football association.
 

Le foot, instituteur de la plèbe mondiale

 
Un coup d’œil d’abord sur la Coupe du monde. C’est le grand événement sportif qui polarise tous les quatre ans l’attention du monde, avec les Jeux Olympiques, plus même que les Jeux Olympiques, car le football est le jeu des foules, du Tiers Monde, le sport des « sans dents ». Il offre à ses vedettes une ascension sociale qui n’existe plus guère ailleurs, c’est l’équivalent du loto où il entrerait un peu de mérite, et pour le reste c’est un merveilleux abrutissant, une sorte de qat ou de coca que la plèbe mondiale mâche et remâche avec satisfaction. C’est aussi le moyen d’enseigner le peuple en l’amusant. L’affaire Willy Sagnol l’a récemment rappelé, le foot est le lieu où l’on débarrasse peu à peu les prolétaires de leurs bas instincts, parmi lesquels le racisme, le sexisme, le machisme, etc… On leur apprend à voir la réalité comme il est convenable de la voir. Les petits couplets politiquement corrects récités par les capitaines des équipes d’Allemagne et de France Löw et Loris lors de leur quart de finale le 4 juillet dernier sont caractéristiques de ce mouvement.
 

Le Qatar, affaire des « bons » musulmans

 
Le Qatar est un petit émirat (11.586 km2) arabe sur le golfe persique, dont la capitale est Doha. Grâce aux revenus du pétrole et du gaz il est passé en quelques décennies de l’ère bédouine à la post-modernité. C’est un « bon » Etat musulman, à la différence de l’Iran ou du Califat islamique, il investit massivement en Occident (en France notamment) et ne craint pas de parsemer son désert des dernières créations de l’art contemporain. Cela n’empêche pas les Qatari de souche (les seuls qui aient la nationalité, dans un Etat où le droit du sol n’existe pas), et leurs dirigeants, d’être wahhabites. C’est à dire d’appartenir au fondamentalisme sunnite le plus rigoureux. Comme leurs grands cousins d’Arabie saoudite, ils financent au gré d’une politique complexe l’un ou l’autre de ces mouvements islamiques que l’Occident tient pour terroristes. Dans les investissements qu’il consent pour se développer et changer son image, le Qatar ne s’est pas contenté d’acheter le PSG, club de foot parisien dont la vedette est le Suédois Zlatan Ibrahimovic, il a financé chez lui des complexes sportifs et postulé pour recevoir la Coupe du monde de football 2022.
 
Complétons ces quelques informations par des données géographiques et démographiques. Le climat est l’un des plus chauds et des plus difficilement supportables du monde, particulièrement en été. La population, un peu plus de deux millions d’habitants, se compose de 20 % de Qatari, et de 80 % d’immigrés, pour la plupart ouvriers, venus d’un peu partout et en particulier d’Asie du sud-est. Pour mémoire, il y a 1,9 homme pour une femme. Le journal Le Monde, dans un reportage-enquête de 2012, révélait que les lois sociales appliquées par les patrons qataris à leurs ouvriers ne laissait aucun repos à ceux-ci : étant donné la chaleur épouvantable de l’été, un grand nombre de ceux-ci, venus notamment du sous-continent indien (Inde, Népal), y retournent en cercueil. Le Guardian présentait quant à lui le Qatar comme esclavagiste, et les experts de la Confédération syndicale internationale (CSI) ont estimé à 4.000 au moins le nombre des travailleurs immigrés qui perdront la vie sur les chantiers de la Coupe du monde d’ici à 2022, ajoutant : « D’avantage d’ouvriers périront durant la construction des infrastructures que de joueurs ne fouleront les terrains. »
 

Le guêpier politique de la FIFA

 
La FIFA n’est pas plus simple. C’est une association de fédérations nationales (209 en tout aujourd’hui) fondée en 1904 et qui a son siège depuis 1932 à Zürich. Officiellement à but non lucratif, elle a pour mission développer le football dans le monde. En fait, elle brasse des milliards, et les soupçons de scandales, autant qu’au CIO et bien plus graves que dans le cyclisme, s’y sont succédé au fil des années : élections truquées, billetteries suspectes, sommes d’argent vagabondes, etc. Pour faire bonne mesure, son président, le suisse Joseph (Sepp) Blatter a ce qu’on appelle dans le milieu une « personnalité controversée ». Ancien joueur amateur, ancien journaliste, c’est un apparatchik professionnel du foot et des organisations internationales. A soixante-dix-neuf ans, il tient la tête de l’organisation depuis 1998 et postule pour un nouveau mandat. La FIFA a coproduit à hauteur de 25 millions de francs suisses un film à sa gloire, United Passion, qui a été présenté en mai 2014 à Cannes, sans convaincre vraiment les cinéphiles. L’homme cumule les doctorats honoris causa et les décorations de nombreux pays, notamment musulmans (il a même le croissant vert des Comores). Il a surtout été élu Humaniste de l’année 2002 par la ligue internationale des humanistes pour la paix et la tolérance, ce qui se mérite peut-être mais ne s’invente pas.
 

Une Coupe du monde sous influence

 
Maintenant, comment se pose la question de la Coupe du monde 2022 ? Cinq pays postulaient pour en être l’organisateur, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Qatar. L’une des difficultés pour la FIFA est de tenir compte, pour désigner celui-ci plutôt que celui-là, de l’hémisphère, du continent, de l’aire linguistique et religieuse où il se trouve, afin de « maintenir un semblant d’équilibre ». Le Qatar a été officiellement choisi par la FIFA le 2 décembre 2010. Dès le lendemain, la presse anglo-saxonne hurlait au scandale, le Sun affichant « Truqué » en manchette. Barak Obama estimait que c’était une « mauvaise décision ». Quels que fussent les vrais motifs des uns et des autres, ils pouvaient s’appuyer pour convaincre l’amateur de sport sur une apparence de bon sens : faire jouer la Coupe du monde l’été dans un pays où le thermomètre monte jusqu’à cinquante degrés ne paraît pas très indiqué.
 

L’affaire Blatter

 
La polémique, durant trois longues années, n’a pas vraiment cessé, tant et si bien qu’en mai 2014, le bouillant Sepp Blatter reconnaissait dans une interview à la télévision suisse que le choix du Qatar avait été « une erreur », ajoutant « tout le monde en fait », et précisant que « c’était une volonté politique, aussi bien en France qu’en Allemagne. (…) De grandes entreprises françaises et allemandes interviennent au Qatar, vous savez. » Il laissa même entendre que Michel Platini, le président de l’UEFA avait été influencé en ce sens par le gouvernement français, ce que l’intéressait démentit vertueusement. Les choses semblaient se calmer un peu lorsqu’en octobre 2010, lors d’un dîner arrosé à Oslo, Sepp Blatter aurait déclaré, selon l’hebdomadaire allemand Der Spiegel : « La coupe du monde 2022 n’aura pas lieu au Qatar ». En s’indignant : « Les Arabes sont arrogants. Ils croient tout pouvoir se permettre parce qu’ils possèdent beaucoup d’argent ». Dans la foulée, il aurait même dénoncé les liens entre le Qatar et l’Etat islamique. Cela fait beaucoup : la patron de la FIFA tombait sous l’accusation de racisme et mettait les pieds dans le plat de la géopolitique proche-orientale. La FIFA démentait dans les heures qui suivaient.
 

Après 2022, on change les règles

 
On verra les suites que cela donnera entre la FIFA, Sepp Blatter et le Spiegel. En attendant, une enquête indépendante, lancée par la commission d’éthique de la FIFA sur la régularité de la désignation du Qatar pour 2022 (et de la Russie pour 2018), vient de remettre son rapport : tout est nickel, il n’y a eu ni « violation », ni « entrave », les décisions sont confirmées et l’on va « poursuivre les préparatifs déjà en cours ». A l’avenir cependant, le choix du pays organisateur sera soumis au congrès de la FIFA et non plus à son seul comité exécutif.
 
Comment interpréter tout cela ? Il y a une part de bisbille interne, notamment entre Batter et Platini. Celui-ci est homosexuel, et les médias rapportent volontiers que Blatter est un gaffeur ordinaire, qu’il a déjà demandé aux homosexuels de s’abstenir de toute pratique sexuelle lors du mondial de 2022. Il y aussi lutte de pouvoir entre l’Amérique (qui n’est pas un grand pays de football mais qui a récemment perçu l’importance du foot dans la politique mondiale) et l’Europe, d’une part, entre l’humanisme maçon et les puissances d’argent musulmanes de l’autre. L’un des points d’achoppement récents en matière de réglementation du football a été l’autorisation – ou non – du port du voile par les joueuses dans les compétitions. Une autorisation qui a été finalement acquise et actée par le règlement international. On assiste donc à une lutte de pouvoir pour la maîtrise de cet outil de pouvoir mondial et mondialisant qu’est le foot, et en particulier sa Coupe du monde. Et quel qu’en soit le résultat, le foot sera toujours plus efficacement l’opium du peuple, et l’enseignement qu’il donnera à celui-ci sera la résultante syncrétique de ce qui est acceptable pour les forces en concurrence. Un politiquement correct mondial de synthèse, en somme.