Le terrorisme bon marché de Daech : comment l’Etat islamique se finance à la petite semaine

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Dans l’œuvre de déstabilisation mondiale à laquelle l’Etat islamique participe grâce à des fonds considérables et l’aide, consciente ou non, de l’« Occident » qui l’alimente à travers des groupes supposés « modérés », il y a un élément qui n’est guère mis en avant sur le plan médiatique : le financement à la petite semaine qui permet à l’organisation d’agir sur tous les théâtres d’opérations. Ce terrorisme auquel ont appelé les chefs de l’Etat islamique, demandant aux djihadistes d’agir ponctuellement là où ils se trouvent pour que le « croisé » occidental ne connaisse plus la paix, a la caractéristique d’être relativement bon marché. Pour Tom Keatinge, directeur du Centre pour les études du crime financier et de la sécurité du Royal United Services Institute, on néglige trop le financement à la petite semaine sur lequel peuvent s’appuyer les sympathisants de Daech, en Occident notamment.
 
Le Royal United Services Institute, ou RUSI, est l’un des plus anciens think tanks au monde – si l’on excepte les loges et sociétés secrètes qui ont pour objectif clair de tirer les ficelles du pouvoir. Sa fondation remonte à 1831, par le duc de Wellington. Aujourd’hui, il porte un nom complet qui indique plus clairement ses centres d’intérêt : Royal United Services Institute for Defence and Security Studies. Il rassemble le gratin des puissants du jour. La reine Elisabeth en est le « patron », le duc de Kent, son cousin, le préside, le général Petraeus en est le vice-président, et il compte des figures de la politique et des armées britannique et américaine. Bref, ses publications donnent un regard sur ce que pensent ou ce que doivent penser ceux qui ont en main les destinées mondiales.
 

Daech est riche, mais son terrorisme se finance à la petite semaine

 
La mise en garde sur le financement « artisanal » de la terreur est à lire à cette lumière. Le texte de Keatinge pointe une réalité : les jeunes islamistes, en Occident spécialement, trouvent bien des façons de faire avancer leur combat pendant que leurs aînés installés dans le « Califat » profitent des revenus qu’ils peuvent tirer sur place du trafic, du pétrole, des gros donateurs. Mais il aboutit à une conclusion qui est finalement celle de toute réflexion officielle sur le terrorisme islamiste : il faut davantage de surveillance publique, dans tous les domaines et surtout en Occident, pour s’opposer efficacement à ses ramifications.
 
Tom Keatinge cite d’emblée le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Chuck Hagel, expliquant que l’Etat islamique, ou Daech, « est aussi sophistiqué et bien financé que n’importe quel autre groupe que nous avons pu voir… Ils sont formidablement bien financés. » Que ce soit par le biais d’associations caritatives ou de porteurs qui assurent le passage des frontières pour porter des espèces à l’Etat islamiques, les moyens sont nombreux et difficiles à surveiller efficacement.
 
« De ce fait, la surveillance du financement terroriste est devenue myope : elle se concentre presque exclusivement sur les tentatives d’interception des mouvements de fonds vers la Syrie et l’Irak » – une action très limitée par rapport à ce que Daech peut lever sur place, estime Keatinge. « Malgré une campagne de bombardement sur un an, le US Treasury estime aujourd’hui que “l’EI a encore beaucoup d’argent”. »
 

Le financement de l’Etat islamique se fait au cœur de l’Occident

 
Il y a une erreur de perspective à croire que le terrorisme ne peut être financé qu’en amenant des fonds très loin : « Le véritable risque du financement terroriste est aujourd’hui bien plus près de l’endroit où nous sommes », assure l’analyste.
 
Il pointe la multiplication de ceux qui agissent seuls, ou dans le cadre de petites cellules – l’attaque dans le Thalys Amsterdam-Bruxelles, vendredi, en est sûrement un exemple. Ces individus agissent seuls ou en petits groupes, à l’appel de l’Etat islamique, pour viser des cibles – les « infidèles » en général – dans leurs « pays d’origine », rappelle Keatinge, citant plusieurs appels bien connus de dirigeants de Daech en ce sens.
 
Cela donne des attaques à haute visibilité et petit coût, comme le carnage sur la plage de Tunisie, visant des « cibles molles », non identifiées sinon par leur qualité de « croisés ». « Cet état de fait exige un niveau d’engagement comparable à celui auquel la communauté internationale s’est déjà vouée pour dérégler le financement de l’Etat islamique lui-même, et qui a permis de rendre de plus en plus difficile le transfert de fonds depuis les pays d’Europe vers Daech.
 
« Lever de petits montants de manière tout à fait légitime pour financer des attaques sur place reste terriblement facile », souligne Keatinge : les prêts à la consommation, les prêts étudiants et autres sont taillés sur mesure pour arriver très vite sur le compte en banque – parfois dans le quart d’heure – de manière tout à fait légale. Les djihadistes, qu’ils envisagent un départ vers le Califat ou une action dans le pays d’origine, n’ont pas à se soucier de taux élevés ou de devoir rembourser rapidement, puisqu’ils ne seront rapidement plus dans cette logique. Ou alors, les prêts consentis, comme les prêts étudiants, accordés facilement, n’exigent pas un remboursement rapide.
 

Le terrorisme des petits groupes d’individus est très bon marché

 
A raison de 3.000 ou 10.000 euros, les sommes ne sont pas très importantes, même si elles peuvent représenter un gros apport pour un individu. Et elles suffisent pour la plupart des attaques terroristes : tous frais payés, y compris les voyages à l’étranger, les attaques du 7 juillet 2005 à Londres ont coûté, pense-t-on, 8.000 livres tout au plus. Une étude des attaques préparées par des djihadistes « européens » de 1994 à 2013 révèle un coût inférieur à 10.000 dollars pour 75 % d’entre elles. Les financements par des ONG et autres transferts de fonds n’y ont quasiment joué aucun rôle, assure l’analyste de RUSI.
 
Aujourd’hui, la police britannique affirme avoir mis au jour « nombre de cas » de prêts étudiants obtenus de manière frauduleuse par des terroristes ; aux Etats-Unis, deux Américains d’origine somalienne sont poursuivis pour avoir utilisé de tels prêts pour acheter des billets d’avion en vue de rejoindre des groupes extrémistes au Proche-Orient.
 
Que faire ? Keatinge concède que les prêteurs peuvent difficilement jouer un rôle de police afin de vérifier la destination des fonds accordés. « Cela ne relève pas de leur responsabilité. Mais peut-être devrait-on envisager de placer des restrictions sur la manière dont les fonds sont dépensés, par exemple en les fournissant au moyen de cartes prépayées restreintes, utilisables seulement dans certains magasins, pour payer certains services déterminés ou pour le paiement de fournisseurs enregistrés auprès de la banque. »
 
La séquence est toujours la même : des personnes mal intentionnées dont l’activité fait peur à la population en général profitent des multiples possibilités offertes dans les pays libres et justifient des restrictions et des surveillances qui frapperont le plus souvent la population en général et fort peu les véritables terroristes.
 

Anne Dolhein