Le juge Stephen Breyer, de la Cour Suprême, revient sur la peine de mort aux États-Unis… dans son livre

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Le livre du juge Stephen Breyer n’est pas encore publié en France – il doit sortir à la mi-octobre aux éditions Odile Jacob. L’original américain nous en dit déjà suffisamment. Dans « La Cour suprême et le Monde », le juge nommé à vie par Bill Clinton en 1994, met dans la balance la peine de mort, à travers une perspective mondialisante. Posant une énième fois la question de sa légitimité aux États-Unis, non plus face à la Constitution qui l’a votée, mais face à l’opinion mondiale qui la charge.
 

Le juge Stephen Breyer, ardent progressiste

 
Stephen Breyer fait partie du quatuor « progressiste » de la Cour suprême, face aux cinq juges dits « conservateurs ». Il s’est toujours battu pour restreindre la peine de mort, maintenir l’avortement comme droit constitutionnel et valider la reconnaissance par le gouvernement fédéral du mariage homosexuel – le premier point lui résiste encore.
 
Son approche de la Constitution est pragmatique. Il soutient en sus – c’est le sujet même de son livre – que la Cour puisse s’inspirer du droit international et étranger pour interpréter la Constitution. Devant un monde de plus en plus inter-connecté, il faut aller au-delà des frontières de l’Amérique, pour interagir avec les autres juridictions… L’État de droit s’en trouverait augmenté – un bon point pour la République des juges. Mais justement, en ce qui concerne la peine de mort, il y a encore à faire.
 

La suprématie de la Cour Suprême américaine en question ?

 
En moins de 300 pages, Breyer explore dans « La Cour suprême et le Monde », maints phénomènes comme l’influence mondiale du système juridique américain, l’augmentation des questions juridiques sur les accords internationaux ou encore le rôle des juges dans la propagation de l’influence américaine. Mais il s’attarde surtout sur la question des juges américains qui prennent en compte les décisions des tribunaux étrangers…
 
C’est la question qu’il se pose et qu’il pose surtout à ses lecteurs : est-ce que la Cour suprême doit se soucier du fait que d’autres pays ont aboli la peine de mort ? Sa réponse est oui.
 
Selon lui, il est pertinent, pour la plus haute juridiction de la nation, de prendre en considération ce que les systèmes juridiques des autres pays ont décidé, lorsqu’ils sont confrontés à des questions difficiles. « Que l’on soit d’accord ou pas, in fine », l’on peut apprendre de ces discussions et de ces décisions, même si elles sont étrangères à notre pays.
 

La peine de mort aux États-Unis : constitutionnelle ou pas ?

 
Rappelons que le tribunal est étroitement divisé sur le sujet… et que les États-Unis sont encore « à rebours des démocraties avancées » : ils font toujours partie des 39 États appliquant très légalement la peine de mort sur leur sol (face aux 101 pays qui l’ont abolie complètement). Peine de mort qui est, de fait, constitutionnelle. C’est pourquoi, récemment, des membres du Congrès n’ont pas hésité à critiquer des juges qui avaient cité des tribunaux étrangers : l’un d’entre eux a été jusqu’à suggérer que ce pourrait même être un motif de destitution, un risque de saper la souveraineté américaine.
 
Mais justement, dans un chapitre de onze pages, Breyer invite à regarder ces affaires où la Cour n’a pas hésité à citer des cas étrangers, de la désertion aux droits des homosexuels… et sans arrêt, il revient sur les décisions de ces tribunaux non américains sur la peine de mort. Parce que ces décisions aideraient à prouver que cette dernière est bien un « châtiment cruel et exceptionnel » et que selon le VIIIe amendement de la Constitution américaine, « les châtiments cruels et exceptionnels ne devront pas être infligés »…
 
Il avance l’argument que l’opinion mondiale a déjà influencé par le passé des affaires, où des juges ont fini par s’opposer aux exécutions pour les enfants de moins de 16 ans, pour les auteurs de viol n’ayant pas conduit à la mort et pour les complices dans des vols meurtriers. Il note même que l’expression « châtiment cruel et inhabituel » est aussi étrangère, puisqu’elle vient d’une déclaration anglaise datant de 1688…
 

Les Cours Suprêmes : vers une uniformisation

 
Bref, il faut écouter les bruits du monde… Et Breyer a beau préciser dans son ouvrage que ces décisions étrangères sont simplement une source d’information, au même titre que d’utiles articles de revues de droit ou des études statistiques, qu’elles ne pèsent d’aucune manière sur le choix de la Cour Suprême qui a toute suprématie en la matière, l’on ne peut s’empêcher de penser qu’à l’heure du « Nouvel Ordre mondial », les Cours Suprêmes du monde s’écoutent bel et bien et marchent de plus en plus de concert.
 
Nous l’avons vu dans l’affaire Glossip c. Gross, quant à la légalité de l’injection létale, qui trouva son dénouement en juin dernier. Le juge Stephen Breyer avait interrogé : « Il est grand temps de se poser une question de base : est-ce que la peine de mort elle-même est constitutionnelle? » Le juge Scalia ; « conservateur », l’avait alors accusé de jouer « le rôle des abolitionnistes »…
 

Clémentine Jallais