Le plan B du mondialisme passe par l’Afrique et les pays pauvres

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La grogne des peuples d’Europe cristallisée dans le Brexit force le gratin du mondialisme à phosphorer pour mettre au point le plan B de la mondialisation. Ils l’admettent, le vieux mondialisme est mort, le nouveau passe par l’Afrique et le développement des pays pauvres. Et ils l’avouent : le but n’est pas économique ni financier, mais mental – nous dirons même, pour notre part, spirituel et religieux.
 
C’est le site du World Economic Forum (WEF) lui-même, le Forum de Davos, la fine fleur des grosses têtes du mondialisme, qui publie une série sur le mondialisme. Apparemment pour en dresser le bilan, en réalité pour en sauver l’image auprès du public. Stéphanie Thomson, éditorialiste au WEF, l’affirme : le Brexit est un « vote de défiance contre le mondialisme ». Pourtant, celui-ci est une chance pour l’humanité, selon elle. Elle cite Ian Goldin et Chris Kutarna, de l’université d’Oxford : « Ca n’a jamais été aussi bien pour l’humanité. L’espérance de vie a plus crû ces cinquante dernières années que dans les mille précédentes. Quand le mur de Berlin est tombé, les deux cinquièmes de l’humanité vivait sous le seuil d’extrême pauvreté, ce n’est plus le cas que d’un huitième ». Seulement il y a les pauvres des pays riches qui s’appauvrissent, et leur classe moyenne aussi. Et leur colère pousse les crânes d’œuf du mondialisme à l’aveu d’un échec partiel et à l’élaboration d’un plan B.
 

Le mondialisme avoue son échec pour faire passer son plan B

 
Ils n’iront pas jusqu’à remettre en cause les bienfaits globaux du mondialisme, à critiquer les chiffres avancés ou à en chercher la signification, mais se sentent obligés de faire quelque chose pour calmer la colère des peuples occidentaux. Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz déplore donc qu’il n’y ait jamais eu de « mondialisme démocratique », et que «la mondialisation marche pour quelques uns mais pas pour tous ». Et d’ajouter : « Les citoyens commencent à comprendre qu’il y a un problème avec le mondialisme, ils exigent d’avoir part au débat ». D’ou cette conclusion de Mary Kaldor, de la London School of Economics : « Nos institutions datent du vingtième siècle, elles ne peuvent convenir aux problèmes du vingt et unième ». Une concession en forme d’assouplissement.
 
Cependant les pauvres des pays riches qui s’appauvrissent doivent admettre, selon Edward Alden, du Council on Foreign Relations, autre temple du mondialisme, que celui-ci comporte à tout moment des gagnants et des perdants. A son opinion le Nord en a profité au début, c’est maintenant le tour des travailleurs du Sud. Il avoue donc sans faire de chichi le projet de péréquation socialiste des richesses entre pays riches et pays pauvres que le mondialisme est en train d’accomplir.
 

Des pauvres des pays riches aux riches des pays pauvres

 
Toutefois, pour Stéphanie Thomson, « c’est seulement en offrant une compensation aux perdants que nous pourrons construire un mondialisme durable et plus équitable. Mais jusqu’ici, beaucoup de pays, y compris les Etats-Unis, y ont échoué ». On assiste donc, dans la série publiée par le WEF, à une sorte de mea culpa des intellectuels du mondialisme, suivi de quelques pistes de compensations assez rebattues pour les pauvres des pays riches. Ainsi Edward Alden, du Council on Foreign Relations, propose-t-il des formations pour ceux dont les emplois ont été délocalisés, un revenu universel minimal et même de (légères) protection douanières pour rassurer les peuples. Tout cela est à la fois cosmétique, démagogique, insuffisant, et montre surtout le désarroi d’intellectuels secoués par la vocifération populaire qui monte de l’Europe.
 
Beaucoup plus forte est la contribution de Calestous Juma, professeur à l’université de Harvard. Elle change radicalement la perspective, fait honte à l’Occident et au Nord de leur nombrilisme, et, plutôt que de mettre des cataplasmes aux pauvres des pays riches, entreprend de montrer quelle chance le mondialisme peut être pour les riches des pays pauvres. Et il prend pour base de sa démonstration l’Afrique et son développement. Il n’en nie nullement les risques mais conclut : « Fuir un engagement holistique mondial à cause de ces risques serait manquer une occasion qui ne repassera pas. (…) La chance de l’Afrique, c’est maintenant. » Gardons l’adjectif holistique pour la bonne bouche et suivons son analyse.
 

Le plan du mondialisme pour développer l’Afrique

 
Le premier étage en est économique. Comment faire pour développer le continent noir ? Pour être un opérateur économique efficace dans le cadre du mondialisme, il faut disposer des infrastructures nécessaires que ce soit dans les communications, l’information ou dans l’industrie, dont manquent bien des Etats d’Afrique au niveau national. Juma affirme cependant, c’est paradoxal, qu’ils en jouissent à un niveau local, grappes industrielles, « couloirs économiques », universités, villes. L’argumentation est fumeuse, floue et fragile, mais sa conclusion est claire. Il faut, selon Juma « dépasser l’Etat-nation », de façon que les pays d’Afrique puissent augmenter de manière significative leur participation à l’économie globale ». Et de donner deux « exemples » à l’appui de cette affirmation. Dressant la liste des PIB des pays d’Afrique par ordre décroissant du Nigéria (573 milliards de dollars) au Maroc (109), il note que Lagos, la capitale du Nigeria, aurait, « s’il était un pays », le septième PIB d’Afrique. De même note-t-il que « l’université du Cap pourrait prendre la tête de la diplomatie de l’éducation en Afrique, sur le modèle de l’université nationale de Singapour ».
 

La révolution numérique au secours de l’Afrique

 
Sur sa lancée, Calestous Juma se lance dans quelques considérations sur les conditions au développement de l’Afrique, réseau routier, réseau de communications, insistant sur l’importance de la fibre optique et son développement fulgurant dans le continent noir. « L’aspect le plus important de la révolution numérique est la croissance exponentielle des flux de données, qui excède de loin les flux de capitaux. Même si les flux de biens et de capitaux ont subi un tassement depuis 2008, la mondialisation entre dans une nouvelle phase caractérisée par une montée en flèche des flux de données et d’information ». C’est cette mutation qui constitue selon lui une chance historique pour l’Afrique, qui doit lui permettre de sauter un stade de développement technique. Il en voit une illustration dans « la recherche pionnière que des pays comme le Ruanda ont menée sur l’utilisation de drones pour l’administration de soins médicaux ». Cette rhétorique ressemble à de la poudre aux yeux universitaire, mais elle a une grande utilité politique.
 

Le plan B du mondialisme maintient l’apparence des nations

 
Elle tend à répondre à la question posée par le Brexit au mondialisme. Et voici la réponse de Juma, qui est le fameux plan B : « Contrairement à l’Union européenne, qui cherche à aller plus loin dans l’élaboration d’une structure centralisée de gouvernement, l’approche de l’Afrique vers l’intégration continentale (regional) préfère renforcer l’intégration commerciale sans menacer la souveraineté des Etats membre. » Une approche cohérente selon lui avec l’émergence d’une nouvelle tendance du mondialisme : le « renforcement concomitant des identités locales et des réseaux mondiaux ». Autrement dit, le mondialisme joue l’émiettement des nations dans le patriotisme de clocher au profit d’un marché et d’une gouvernance mondiaux. En laissant subsister l’apparence des « identités nationales », le chauvinisme des équipes de foot, etc… En Afrique, cela se traduit selon Juma par des accords de libre échange, le TFTA (Tripartite Free Trade Area, regroupant 26 pays, 620 millions d’habitants, pour un PIB de 1.500 milliards de dollars), qui sera suivi par le CFTA, accord de libre échange continental dès 2017.
 

L’Afrique en modèle : le plan B permet d’éviter la révolte populaire

 
L’approche économique souple du nouveau mondialisme lui permet donc de sauter par dessus la question embarrassante de l’Etat Nation, afin de ne pas susciter de réaction de rejet comme cela se passe pour l’Union européenne. Tel est le plan B du mondialisme. Mais son but n’est ni économique, ni politique au sens institutionnel du terme. Selon Juma, l’opposition au mondialisme vient d’une « vue étroite qui assimile la mondialisation au libre échange international poussé par les pays occidentaux ». Il lui oppose à juste titre la vision plus large du sociologue britannique Anthony Giddens, pour lequel la mondialisation « est l’intensification de relations sociales à travers le monde qui lient des localités éloignées entre elle de manière telle que les événements locaux sont produits par des choses qui arrivent à des milliers de kilomètres et vice versa. » En d’autres termes la mondialisation est d’abord un phénomène social, moral et mental, et tel est bien le but du mondialisme.
 

L’objectif du mondialisme est une révolution spirituelle

 
Poussant plus loin l’aveu, Calestous Juma ajoute : « Le but final du mondialisme est de donner l’occasion d’interactions à tous les hommes et de les enseigner. (…) Des nœuds de connaissances et de capacités comme les villes, les grappes industrielles, les universités, servent de lieu d’accumulation pour l’information, le savoir, reçus du monde entier, les leçons de l’expérience globale. » Arrivés ici, il faut se souvenir de « l’engagement holistique mondial » auquel invite Calestous Juma. Dans le vocabulaire politique anglo-saxon, holistique fait référence à la pensée complexe chère au sociologue Morin, l’un des papes du patriotisme planétaire et du mondialisme universitaire – cette fadaise philosophique a notamment pour ambition d’en finir avec la tradition philosophique européenne et la logique aristotélicienne. Plus généralement, le holisme est une idéologie qui considère tout phénomène comme un tout supérieur à ses parties. Une idéologie que l’on voit à l’œuvre dans le paganisme écologiste. Une idéologie qui détrône l’homme de la place où l’a mis la pensée chrétienne pour en faire l’un des maillons d’une chaîne. Le mondialisme est d’abord et en fin de compte une révolution spirituelle, et les intellectuels mondialistes, poussés par la nécessité de renouveler leur discours par la colère des peuples, en font aujourd’hui le demi aveu.
 

Pauline Mille