La vie de Vincent Lambert est sauvée. Mais la loi Leonetti demeure une loi d’euthanasie

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C’est un véritable coup de théâtre qui s’est joué dans l’affaire Vincent Lambert. Jeudi, le Dr Daniela Simon devait selon toute vraisemblance décider de remettre en route en son propre nom une procédure de fin de vie pour le jeune homme tétraplégique et cérébrolésé. Au lieu de quoi, elle a – contre son gré s’il faut en croire les témoins – signifié à ses proches que le procureur de la République était saisi pour nommer un tuteur chargé de la « protection globale » de Vincent Lambert. La vie de Vincent Lambert est donc sauvée. Mais à ce stade de l’affaire, on peut déjà dire que pour ce qui est de l’avancée de l’euthanasie, un pas important a été accompli : la loi Leonetti reste une loi applicable aux personnes qui ne sont pas sur le point de mourir et à qui on peut, dans certaines circonstances, refuser l’hydratation et l’alimentation afin de les faire mourir de soif.
 
Mais pour le cas particulier de Vincent Lambert, c’est une victoire due à une mobilisation exemplaire – longue à venir sur certains plans, mais réelle – qui a eu raison d’une volonté de faire mourir un homme parce qu’il est profondément handicapé et incapable d’exprimer sa propre volonté. En cela, c’est plus qu’un grain de sable dans un système qui a déployé toute sa force monstrueuse contre lui.
 

Vincent Lambert sauvé par la nomination d’un tuteur qui ne préjugera pas de sa volonté

 
On se souviendra que tout reposait sur deux éléments. L’élément légal : une interprétation de la loi Leonetti conforme à ses travaux préparatoires sinon totalement à sa lettre, permettant de prendre en compte des « directives anticipées » ou la volonté clairement exprimée du patient de ne pas vivre dans un état de grave maladie ou de fort handicap sans espoir d’amélioration, indépendamment de savoir s’il est en « fin de vie » ou non, et de cesser alors tout traitement. La chose n’était pas exprimée dans la loi, mais les travaux préparatoires, les rapports d’évaluation de son application et la pratique font figurer la nourriture et l’hydratation, soins ordinairement dus dès lors qu’ils remplissent leur office sans provoquer de souffrances, parmi ces « traitements ».
 
L’autre élément est celui de la volonté de la personne. En l’occurrence, elle n’avait jamais été exprimée de manière certaine par Vincent Lambert avant son accident et ne pouvait l’être, depuis. Les conseillers d’Etat, suivis par les juges de la Cour européenne de Strasbourg, ont déclaré qu’elle était suffisamment établie par le témoignage, pourtant fluctuant, de son épouse Rachel Lambert, et celui d’un demi-neveu, François Lambert, affirmant que Vincent n’aurait « jamais voulu vivre dans cet état ».
 
Ce témoignage, dont on ne sait à quel point il a été sollicité par l’équipe de médecins s’occupant de Vincent Lambert au CHU de Reims – Daniela Simon et Ana Oportus qui ont les premières agi sur sa foi, et leur supérieur hiérarchique, le Dr Eric Kariger qui a assumé leur décision – a été l’élément qui a tout provoqué : la volonté de mettre fin à la vie du jeune homme, sa mise sous clef, le refus de le transférer comme le voulaient ses parents.
 

La loi Leonetti permet l’euthanasie quand la volonté du patient la couvre

 
Bref : ce sont les mots de Rachel Lambert qui sont au cœur de ce drame. La décision de l’hôpital de Reims de ne plus la considérer comme la « personne référente » de son mari, qui est désormais confié à un tuteur nommé par les pouvoirs publics, revient à dire que sa parole ne suffit plus. Il faut considérer les faits autrement. Là est la grande victoire pour Vincent Lambert car, comme l’affirment ses avocats Jérôme Triomphe et Jean Paillot, le tuteur nommé par le procureur connaîtra les diverses plaintes pénales déjà déposées pour tentative d’assassinat et mauvais traitements et pourra difficilement prendre seul la décision de donner son accord pour une procédure de fin de vie. Dont il faut souligner pourtant qu’elle reste pour l’heure entre les seules mains du médecin de Vincent Lambert, qui la prend seul, sous éventuel contrôle de la justice.
 
Il n’y a pas de mystère : le Dr Daniela Simon souhaitait et souhaite toujours prendre cette décision de fin de vie. Elle l’a déclaré lors du conseil de famille qui a eu lieu il y a une dizaine de jours à certains des proches de Vincent Lambert, reçus séparément en raison des tensions qui règnent dans cette affaire : François Lambert l’avait déclaré aux médias en sortant de la rencontre. Ce ne devait être qu’une histoire de jours, et les avocats de Pierre et de Viviane Lambert étaient sur le pied de guerre pour riposter afin d’éviter l’irréparable.
 
La réunion de jeudi s’est tenue dans une atmosphère d’autant plus tendue qu’elle a commencé avec un retard – très inhabituel – d’une vingtaine de minutes, les diverses parties de la famille attendant sans se parler l’arrivée du Dr  Simon. Elle est arrivée décomposée, visiblement porteuse d’un message qui venait de lui être signifié : un communiqué signé des autorités du CHU de Reims et contredisant son projet en le privant de sa seule assise au sein de la famille Lambert.
 

Des évêques ont pris la défense de la vie de Vincent Lambert

 
Pourquoi ? Il n’y a pas de doute : la mobilisation autour de Vincent Lambert, et notamment la visibilité médiatique enfin acquise par sa mère, Viviane, ainsi que la vidéo qui a montré un Vincent Lambert bien vivant, ont fait basculer une partie de l’opinion. Plus encore, cette vidéo non diffusée sur internet mais dont la teneur a pu être connue par des personnes chargées du dossier : elle montrait Vincent en train d’avaler la nourriture que sa mère lui donnait à la cuillère, avec un plaisir manifeste et semblant même réclamer davantage dans un effort surhumain pour parler.
 
Il y a eu la rencontre de Viviane Lambert avec le Pr Lyon-Caen, conseiller de François Hollande, à l’Elysée : si le Pr Lyon-Caen a refusé de regarder la vidéo pour rester « neutre » (sic), plusieurs indices laissent croire qu’il a été touché. Et ce d’autant que Mme Lambert était accompagnée du Pr Xavier Ducrocq, neurologue et spécialiste d’éthique, qui a pu lui parler en confrère.
 
Preuve qu’en matière de culture de mort, et même face à un rouleau compresseur de mauvaise foi et de mauvaise volonté, la raison peut encore l’emporter. Le mal n’est pas une fatalité.
 
Il ne faut pas minimiser non plus les interventions épiscopales qui sont venues annihiler les déclarations ampoulées, timorées ou trompeuses d’un Mgr d’Ornellas ou d’un Mgr Ribaudeau. Mgr Thierry Scherrer s’est exprimé avec courage, comme Mgr Aillet, puis ce furent l’ensemble des évêques de la région Rhône-Alpes d’où Vincent Lambert est originaire qui ont, autour du cardinal Barbarin, rappelé ce qu’exigent le droit, la justice et le respect de la vie. Ce n’est sans doute pas cela qui aura fait basculer les autorités, mais leur démarche démontre que la défense de la vie du jeune homme n’est pas une affaire d’« intégrisme », comme le veulent les médias, mais d’humanité et de foi.
 
Du côté de l’hôpital, on évoque un « projet d’enlèvement » qui aurait dicté la décision, mais les parents de Vincent Lambert, qui ont demandé des explications, n’en ont obtenu aucune. Ce n’est pas l’essentiel de l’affaire.
 
Et maintenant ? L’issue la plus probable, selon les avocats de Pierre et Viviane Lambert, est que le tuteur de Vincent Lambert demande son transfert vers un autre établissement, ce à quoi Rachel Lambert s’était opposée de toutes ses forces. Cela ouvre la possibilité pour Vincent d’être enfin soigné selon ce que son état exige : six établissements, dont un polonais, se sont manifestés pour le prendre en charge. Dire que l’affaire est close est peut-être un peu prématuré, mais les meilleures chances sont désormais du côté de la vie.
 

Conseil d’Etat et CEDH ont confirmé la loi Leonetti comme loi d’euthanasie

 
En revanche, la décision du Conseil d’Etat, entérinée par la Cour européenne des droits de l’homme, de reconnaître comme le veut la loi Leonetti que l’alimentation et l’hydratation artificielles sont des « traitements » fait que cette affaire aura fait avancer la cause de l’euthanasie, au moment où une nouvelle loi se dessine qui facilitera l’arrêt de l’alimentation quelle qu’elle soit pour les personnes demandant une sédation profonde en vue de mourir.
 
On notera que Marine Le Pen, qui avait dans un premier temps dénoncé la décision des Lambert d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme au motif de la protection de la souveraineté française et parce que la loi Leonetti était à ses yeux une bonne loi, a changé d’opinion sur un point. Visiblement ébranlée par le fait que Vincent Lambert n’est pas en fin de vie et commence à pouvoir manger par la bouche, elle a dénoncé – c’est logique – la décision de la Cour européenne des droits de l’homme et plaidé pour la vie du jeune homme. Mais elle continue de dire que la loi Leonetti est une bonne loi, alors que la preuve est faite non par la CEDH mais par le Conseil d’Etat, bien français, qu’elle est une loi d’euthanasie et qu’elle est acceptée comme telle. Et elle parle comme si la CEDH s’était opposée à la « liberté » de la France en ce domaine, alors qu’elle n’a fait que soutenir la volonté française de justifier l’euthanasie lente.
 
Hélas, c’est aussi seulement à la CEDH que l’on a entendu développer les arguments les plus justes pour le respect de toute vie humaine et pour le maintien des soins jusqu’à la mort naturelle, au nom d’une loi qui dépasse le droit positif. Ce langage-là – tenu en l’occurrence par les cinq juges « dissidents » qui à Strasbourg, ont refusé de voter la mort – aucun juge français ne l’a tenu. Nous sommes dans un système juridique qui rejette d’emblée toute transcendance.
 

Anne Dolhein