Meryl Streep aux Golden Globe Awards : le mur des people dressé contre Trump

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Le cinquième pouvoir est en alerte maximale contre Donald Trump. La sortie de l’actrice Meryl Streep contre le président élu lors de la cérémonie des Golden Globe Awards est le symptôme d’une fièvre qui voisine à la haine et d’une stratégie. Le mur des people est dressé devant Trump.
 
L’actrice Meryl Streep n’aime pas Donald Trump, c’est son droit. Donald Trump aimait plutôt Meryl Streep jusqu’à aujourd’hui. En 2015, interrogée sur sa façon de jouer, il s’est montré enthousiaste : « Elle est excellente. C’est une personne bien en plus. » Aujourd’hui il la trouve « surcotée ». Comme quoi les goûts et des couleurs peuvent changer. Mon opinion est que c’est une actrice appliquée, parfois convaincante (The Deer Hunter), d’autres fois ridicule (Sophie’s Choice). La conviction des gens de cinéma est que c’est un poids lourd de la profession puisqu’elle a reçu trois Oscars, huit Golden Globe Awards et qu’on lui a remis voilà quelques jours lors de la cérémonie des Golden Globe Awards le prix Ceci B. de Mille pour l’ensemble de sa carrière.
 

Meryl Streep attaque Trump à coup de compassion

 
Meryl Streep a violemment attaqué Trump, sans le nommer, de deux manières. Sur sa personnalité d’abord, et sur un point précis, sa prétendue imitation télévisée d’un journaliste handicapé. Selon elle Trump se serait moqué de Serge Kovaleski, du New York Times, dont une maladie articulaire atrophie le bras droit. Elle a joué là les convenances et la compassion, deux piliers de l’humanisme américain : « L’irrespect entraîne l’irrespect, la violence entraîne la violence. Et lorsque les personnes au pouvoir se servent de leur position pour brutaliser les autres, nous sommes tous perdants. » A quoi le président élu a répondu : « Je ne me suis jamais moqué d’un journaliste handicapé (je ne ferais jamais ça), je lui ai simplement montré comment il avait retourné sa veste en changeant complètement un article vieux de 16 ans (…) ».Trump y voit une « preuve de la malhonnêteté des médias » et l’on serait tenté de lui donner raison car la vidéo de la scène ne montre nulle « imitation » de handicap.
 

Aux Golden Globe Awards, humour et connivence sont de mise

 
L’autre attaque de Meryl Streep portait sur la politique de Trump en général, en jouant de deux autres musts de l’humanisme américain, l’humour et la connivence : « Nous tous, ici, dans cette salle, faisons partie des personnes les plus vilipendées de la société américaine. Pensez-y : Hollywood, les étrangers et la presse. (…) Hollywood, c’est juste des gens qui viennent de plusieurs endroits différents. » Et de citer quelques personnes présentes avant de demander : « Où sont leurs actes de naissances » ? A Hollywood, il y a des étrangers et des outsiders. Et si vous les mettez tous dehors, vous ne pourrez plus que regarder du football et des arts martiaux, ce qui n’est pas de l’art ». Un petit monument d’exagération (il n’y a pas que des étrangers à Hollywood) et de confusion : on peut très bien travailler pour Hollywood et ne pas avoir la nationalité américaine, et l’on ne doit pas confondre non plus travailleur régulier et immigré clandestin. Mais l’essentiel pour Meryl Streep en l’occurrence était d’avoir le soutien de ses pairs et des médias contre le grand méchant Trump.
 

Le mur Hollywood dressé contre Trump

 
Celui-ci l’a traitée en retour d’actrice surcotée et de « larbin de Clinton ». Nos médias ont écrit que c’était une insulte mais c’est une réalité. Meryl Streep n’a pas seulement présenté Hillary Clinton sur scène le jour de la convention démocrate, elle fait partie de ces innombrables acteurs de cinéma et de télévision qui ont apporté leur soutien bruyant à Hillary Clinton et fait campagne contre Trump. Le phénomène déborde d’ailleurs les acteurs pour s’étendre à tous les artistes, au sport, aux membres en vue de la société civile, bref, à ce qu’on nomme communément, en franglais, le people. En voici quelques-uns, George Clooney, son épouse juriste internationale, Martin Sheen, le héros de Hot Shot, James Franco, Don Cheadle, Stanley Tucci, Suzan Sarandon, Scarlett Johanson, Robert Downey Jr, Leslie Odon Jr, Jennifer Lopez, Rihana, Eva Longoria, Marc Anthony, Matt Damon, Julia Roberts, Salman Hayek, Natalie Portman, Ann Hathaway, Sarah Jessica Parker. Et cela ne se limitait pas à Hollywood. Côté musique, citons Beyoncé, Steevie Wonder, Lady Gaga, et côté « humoristes », Amy Schumer et Jimmy Fallon. Certains de ces noms ne disent peut-être pas grand-chose au lecteur, mais ils pèsent lourd dans le système médiatique américain.
 

Tout sauf Trump, tel est le mot d’ordre des people

 
Or, de même qu’ils ont tenté de peser de tout leur poids sur l’élection de novembre dernier, de même essaient-ils de continuer le combat politique contre le président élu. C’est quelque chose de nouveau qu’il convient de regarder de plus près. Dans le spectacle que constitue la présidentielle américaine, il est de tradition que les people disent leur préférence, ou même fassent parti d’un comité de soutien. Mais cette élection a vu se dresser un véritable mur des people contre Trump. Il se manifeste de deux façons. D’abord, par une disproportion sans précédent entre les soutiens de Trump (trois pelés et deux tondus, emmenés par Clint Eastwood, que l’on excuse en raison de son grand âge), et la myriade des supporters de Clinton. Ensuite, les vrais supporters de Clinton étaient relativement peu nombreux, mais les adversaires enragés de Trump étaient à la fois nombreux et organisés.
 

Un clip anti-Trump digne du mur des cons

 
Cela s’est traduit notamment par un clip publicitaire anti-Trump diffusé à l’automne, où toute une brochette de people appelaient les Américains à un « sursaut citoyen » contre le « raciste » Trump. En tête de cette vidéo de propagande, Robert de Niro, qui sort de son rôle de grand acteur pour prendre celui de cabot agressif. Alors que les people reprochent à Trump d’être le candidat de la « haine » et de « l’excès », De Niro le traite uniment de « minable, crétin, chien, porc, escroc, honte ». Malgré cet engagement contre un candidat qualifié aussi de « lâche, raciste » et grossier », celui-ci fut élu et depuis les people sont en larmes. Barbara Streisand ne « sait où aller pendant les quatre prochaines années », Madonna, plus politique, compare Trump à un « mauvais Brexit », Katy Perry appelle à ne pas « laisser passer la haine », Whoopy Goldberg pleure, « nous avons perdu l’Amérique », Emma Watson entre en résistance, le cinéaste Michael Moore se dresse contre le « fascisme », Rashida Jones pense à « quitter la vie », et l’acteur réalisateur Adam Mac Kay estime que « le grand perdant du jour est la race humaine ». La charge de Meryl Streep fait donc partie d’un mouvement organisé chez les people pour barrer la route à Trump. C’est si vrai qu’elle n’a pas été la seule à sortir du bois lors de la cérémonie de Golden Globe Awards. L’humoriste Jim Fallon y a été de son petit couplet, et même Isabelle Huppert, venue recevoir le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film étranger, Elle a tenu à prononcer ces paroles follement originales : « N’attendez pas du cinéma qu’il dresse des murs et des frontières ».
 

Les people jugent chic d’être anti-Trump

 
A vrai dire Donald Trump n’attendait rien des « bien-pensants » issus du cinéma et des people. Un quatrième homme l’a pris à partie à la soirée des Golden Globes, Hugh Laurie. La personnalité de l’homme vaut qu’on en dise un mot. Né à Oxford, élevé à Eton et à Cambridge, ce chanteur comédien est le membre type de la bonne société britannique, et sa voix un peu prout prout a beaucoup fait pour sa carrière avant qu’il ne découvre l’accent américain en jouant le docteur House dans la série Dr House. C’est l’incarnation parfaite du politiquement correct people. Car ce n’est pas seulement Hollywood qui s’est dressé contre Trump, ce sont toutes les personnes ouvertes et en vue de la planète, une sorte de Gala international, un point de vue et images global. Le moine bouddhiste de service, Matthieu Ricard, vit « un cauchemar », la mode française, Nathalie Rykiel, Jean Charles de Castelbajac, se voilent le visage, bref, c’est la consternation générale des people. Et les médias nous le font savoir. Les people sont la nouvelle autorité politique.
 

Meryl Streep participe à la défaite de la pensée

 
Le phénomène se développe doucement depuis les années quatre-vingt. Il est double et tient à la croissance du spectacle dans la société. C’est d’abord le changement de statut de l’intellectuel : Bernard Henri Lévy, Alain Minc, Jacques Attali ont remplacé Jean-Paul Sartre ou Charles Maurras. Le massage a remplacé le message, et Alain Finkelkraut a justement parlé de défaite de la pensée. Dans la foulée, puisque l’image faisant autorité devenait plus importante que le contenu autorisé par l’image, les intellectuels à la Lévy s’effacent logiquement devant de plus fortes autorités : on écoute plus volontiers Enrico Macias lorsqu’il dit vouloir fuir Marine Le Pen à l’étranger, en Suisse, en Israël ou en Corse (ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a jamais avec Enrico). Ou les footballeurs, Lilian Thuram, Karim Benzema, parler de racisme. La politique est une chose trop importante pour être abandonnée aux intellectuels, politologues ou journalistes politiques. On se souvenait naguère d’Alain Duhamel ou de Jérôme Jaffré, qui sait qui sont Alexis Brézet ou Laurent Joffrin ? Et les éditorialistes du Monde ? (On ne connaît plus que les actionnaires).
 

Les people ont remplacé saints et héros, mais ça ne marche plus

 
La prise du pouvoir de la parole par les people présente un deuxième aspect, si l’on regarde les choses d’un peu plus haut. Jadis on prenait pour modèle les héros : historiens et politiques chantaient leur los. Puis ce furent les saints, que les prêtres donnaient en chaire en exemple. Aujourd’hui, ce sont les people, célébrés par les médias. Le système y trouve son compte car la partie émergée de sa propagande a été débusquée par le peuple : nul ne croit plus les journalistes. Ces people sont tenus par l’argent, Laurie et Sheen sont les acteurs les mieux payés des séries américaines, et présentent cependant l’apparence d’être indépendants. Ils sont devenus depuis plus de vingt ans de bons prescripteurs d’opinion précisément parce qu’ils ne semblaient pas politisés et parlaient de divertissement. Les « Bleus » ont beaucoup plus fait en 1998 pour la société multiculturelle que toutes les objurgations d’un Attali. Et les peoples séduisent d’autant plus une opinion sans repères qu’ils ne brillent pas, comme jadis les saints, par leur exceptionnelle vertu, mais au contraire par une médiocrité fort commune à laquelle beaucoup aiment à s’identifier. Il ne faut pas se décourager devant cet immense pouvoir de persuasion clandestine, car de l’excès du mal naît le contrepoison : la ruse de la propagande par les people est en train d’être éventée à son tour, ils sont de plus en plus identifiés comme les supplétifs d’élites menteuses. Une indication en est donnée par la montée des votes populistes, le Brexit, et l’élection de Trump. Le pire n’est pas toujours sûr.
 

Pauline Mille.