Dalida, Mike Brant, Claude François, Sacha Distel en concert en 2017 : vers le grand remplacement de l’homme par l’hologramme ?

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A la recherche des vedettes perdues via le virtuel.

 
Ni Bruno Coquatrix ni aucun des grands « tourneurs » du spectacle français n’y seraient parvenus : Dalida, Mike Brant, Claude François et Sacha Distel, idoles de naguères, seront à l’affiche du Palais des Congrès à partir de janvier 2017 en concert commun. Sans chair, sans os, mais en hologramme pour leurs fans. Une technique qui permet le voyage dans le temps, un grand remplacement du réel par le virtuel, et rend l’homme finalement superflu.
 
L’un est grec et milliardaire, il s’appelle Alki David, l’autre est lorrain et producteur, il se nomme David Michel. Les deux ont décidé d’exploiter massivement la technique de l’hologramme dans le spectacle. L’idée n’est pas tout à fait neuve puisque en 1977 déjà dans Star Wars la princesse Leia (ou plutôt son hologramme bleuté, c’était alors la couleur choisie par les scénaristes-psychologues) lançait cet appel au secours : « Obi-Wan Kenobi, vous êtes mon seul espoir ». Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et la technique a fait des progrès. En 2009 Céline Dion chantait en duo avec Elvis Presley pendant l’émission American idol, en 2012 le rappeur Tupac Shakur, assassiné en 1996, venait danser torse nu pour le festival californien Coachella, et en 2014 Michael Jackson se payait un extra lors de la cérémonie des Billboard Music Awards.
 

L’hologramme en concert, mais aussi dans les débats

 
Plus de passé, plus de présent, plus de temps. Les fans émerveillés comme des enfants devant un tour de magie voyagent dans le temps et rêvent douillettement devant leur idole ressuscitée le temps d’une chanson. Plus de mort, bien sûr : le simulacre de la résurrection permet une fusion  sentimentale entre l’idole (si bien nommée ici) et des spectateurs moralement ensommeillés en chien de fusil, il ne leur manque plus que de prendre leur pouce. Plus de réalité non plus, le virtuel l’a remplacée.
 
Cela a un prix : les deux chansons de Tupac Shakur ont coûté quatre cent mille dollars. Aussi, bien qu’on dise qu’il a les reins solides, Alki David rode-t-il sa formule avec des moyens limités : dans une petite salle de Los Angeles, Michael Jackson, Ray Charles, Franck Sinatra et même Mariah Carey et Mick Jagger viennent se produire. Car la formule, qui vise une douce confusion, n’exclut pas les vivants. Elle s’étend d’ailleurs hors du show bizz proprement dit. Ainsi Alik David a-t-il organisé un débat entre Julian Assange, le patron de Wikileaks, et Edward Snowden, l’ancien de la CIA qui a fait fuiter des informations classées top secret aux Etats-Unis. Or le dernier vit aujourd’hui exilé en Russie et le premier à l’ambassade d’Equateur à Londres.
 

Claude François, Dalida, Mike Brant, Sacha Distel en 2017

 
En composant son affiche mégalomaniaque, Dalida, Mike Brant, Sacha Distel, Claude François au palais des Congrès de Paris en 2017, David Michel a fait un saut quantitatif impressionnant qui induit un saut qualitatif : le spectacle durera une heure et demie et nécessite un investissement de cinq millions d’euros. Pour le rentabiliser, la cible visée (prix des places entre 39 et 89 euros) est le public français de souche populaire nostalgique, la ménagère de plus de cinquante ans. Encore que les vedettes citées, comme aussi Joe Dassin, touchent un public plus vaste et plus jeune et mènent, leur diffusion radio le montre, une étonnante carrière posthume. Le succès des tournées d’anciens yé-yés, bien vivants eux, révèle ce marché de la nostalgie de populations qui réagissent par une sorte de repli « identitaire » paradoxal au grand remplacement qui les menace. Pour Hit Parade, tel sera le titre du spectacle, Michel a d’ailleurs rencontré l’enthousiasme des ayant-droit : Laurent Distel, le fils, et Yona Brant, la nièce, ont donné leur accord immédiatement. A noter cependant, France Gall a refusé assez dignement que Michel Berger soit associé au concert comme on le lui avait demandé. Il y a aussi un « risque » (une chance) que le public refuse la nécrophagie des anciennes idoles qu’on lui propose : l’hologramme n’est au stade actuel qu’un pari.
 

Quand la magie de l’hologramme devient inquiétante

 
Mais en montant à l’affiche Claude François, Dalida, Sacha Distel et Mike Brant, qui furent à leur époque des rois de la « roucoule » sentimentale et du divertissement populaire, David Michel a mis tous les atouts dans son jeu. Côté technique, il fait aussi ce qu’il faut en s’associant à Mac Guff, la société française spécialisée en la matière. Elle utilisera le système Motion Capture qui a servi pour des films comme Avatar : des sosies ont été choisis, ils bougeront comme les vedettes qu’ils imitent, seront filmés et transcrits en hologramme, leur visage sera remplacé par des images numériques de l’artiste disparu. Panasonic fournira des projecteurs très haute définition. Les voix seront travaillés de façon que l’hologramme de Claude François, de Dalida ou de Mike Brant (sans oublier celui de Sacha Distel), pourra dire, entre les chansons, le texte qu’on voudra : il ne s’agira nullement d’un montage d’extraits de concerts, mais d’un concert nouveau. Il serait possible, avec l’accord des ayant droit, de donner de nouvelles chansons des idoles en concert ! A la limite, l’histoire de Claude François, Dalida, Mike Brant et Sacha Distel pourrait continuer indépendamment d’eux-mêmes, un peu comme les aventures de Blake et Mortimer ont continué après la mort de leur dessinateur Edgar P. Jacobs. Des hommes deviendraient les personnages d’un spectacle qui continue sans eux.
 

L’hologramme n’est qu’un des moyens du grand remplacement de l’homme

 
Ici, la magie devient inquiétante, elle débouche sur une dépersonnalisation, et même sur une spoliation dont est victime l’humanité. L’hologramme est en fait un procédé de dématérialisation, une illusion visuelle qui fait croire à la réalité d’une chose dépourvue de matière. Mais l’on s’aperçoit que cette dématérialisation porte avec elle une déshumanisation. On le voit dans l’exemple qui nous occupe : des idoles peuvent continuer à tourner indéfiniment dans le cerveau de leurs fans (des fans qui peuvent être nés longtemps après leur mort) sans que rien ne freine plus l’illusion. L’homme, sa vie, sa chair, ne sont plus nécessaires, dans ce processus.  A la limite, on pourrait imaginer un monde parfait au sens où le pensaient les cathares : une assemblée de robots regardant un hologramme de spectacle en mangeant des hologrammes de pop corn : plus d’homme, plus de procréation, plus de péché, plus de pollution, plus d’incarnation. Pendant ce temps-là, l’hologramme de Manuel Valls recevrait des hologrammes de tarte à la crème de la part du MEDEF et de l’UNEF pour sa loi sur le travail, tandis que des migrants bien vivants incarneraient un grand remplacement bien réel mais transitoire en attendant d’être eux-mêmes remplacés par d’autres robots. Ouf ! L’ennui avec la science fiction fantaisiste est qu’elle est généralement dépassée par la réalité.
 

Pauline Mille