En Turquie, Erdogan gagne les élections grâce à son pouvoir de plomb : censure, fraudes, arrestations

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Le tout-puissant président turc islamiste Recep Tayyip Erdogan a célébré sa victoire en prétendant que les élections présidentielles et législatives qui se sont tenues dimanche étaient une victoire pour « la Turquie, la nation turque, les victimes de notre région et tous les opprimés dans le monde ». Ce discours victimaire démagogique visait probablement à masquer les protestations des dirigeants de l’opposition et des observateurs internationaux qui ont dénoncé des arrestations à grande échelle, des fraudes électorales et une grossière censure médiatique imposés par un pouvoir de plomb. Sans parler des soucis économiques croissants.
 

Censure en Turquie : Erdogan a imposé la fermeture d’une centaine de rédactions – sans compter les arrestations

 
Malgré la censure quasi-totale de la plupart des candidats d’opposition depuis qu’Erdogan a imposé la fermeture d’une centaine de rédactions depuis 2016, malgré le fait qu’un candidat à la présidence ait été condamné à 183 années de prison pour avoir critiqué la politique kurde d’Erdogan, le président-candidat a peiné à éviter un second tour, recueillant 52,56 % des voix. Muharrem Ince, candidat du CHP (social-démocrate) en a recueilli 30,64 %. Le candidat emprisonné, le Kurde Selahattin Demirtas (HDP), en a obtenu 8,4 % et le candidat de la nouvelle formation nationaliste « Bon parti », Mera Aksener, 7,29 %. Erdogan a obtenu ses meilleurs scores dans la Turquie rurale, Ince dans les métropoles et Demirtas dans le sud-est kurde. Edirne, la grande ville du nord-est où le dirigeant kurde est embastillé sans procès, a voté majoritairement pour Ince.
 
Aux législatives, l’AKP d’Erdogan a conservé une majorité relative avec 42,56 % des voix. Il devra gouverner avec le MHP, parti nationaliste agonisant. Gifle pour Erdogan, le HDP kurde de Demirtas a obtenu 11,7 % des voix, améliorant sa représentation au Parlement et évitant de passer sous les 10 %, ce qui eût signifié son élimination. Ces élections vont permettre à Erdogan de gouverner la Turquie au moins jusqu’en 2023, sous un régime ultra-présidentiel ratifié par référendum en 2017. La constitution turque, jusqu’alors d’inspiration parlementaire, ne garantit plus le contrôle ou la limitation des pouvoirs du « sultan ».
 

Contrôle : des observateurs de l’OSCE ont été empêchés lors des élections

 
Les observateurs indépendants ont estimé que le contexte des scrutins de dimanche n’a pas permis aux Turcs de voter librement. Les membres de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), présents dans le pays pour contrôler le processus électoral, estiment que les candidats d’opposition n’ont pas bénéficié de conditions équivalentes à celles du parti d’Erdogan, et à Erdogan lui-même, faussant les résultats. Ignacio Sanchez Amor, patron de la mission de l’OSCE, a ainsi jugé que « les restrictions des libertés fondamentales ont eu un impact sur les résultats » et « espère que ces restrictions seront levées aussi vite que possible ». Erdogan a largement surpassé ses concurrents en terme de temps de parole dans les médias télévisuels : 67 heures à la télévision contre sept heures pour Ince, a relevé Reuters. Le régime turc a empêché plusieurs observateurs étrangers d’assurer leurs missions. Jabar Amin, un Kurde membre du parlement suédois, a été arrêté la semaine dernière alors qu’il était mandaté par l’OSCE.
 

Le CHP affirme détenir des preuves de fraude, le HDP kurde se félicite de son score

 
Le CHP a officiellement protesté contre des fraudes dans des bureaux de vote. Son président, Kemal Kilicdaroglu, affirme détenir des preuves. Le candidat du HDP, le Kurde Demirtas, n’a pour l’instant pas porté plainte pour fraude, se contentant de célébrer le progrès de sa représentation parlementaire malgré la répression impitoyable du régime contre les Kurdes. Le quotidien Hurriyet rapporte qu’une enquête a été lancée à Izmir « après qu’une vidéo postée sur des médias sociaux a montré des supporters du CHP lançant des insultes contre Erdogan tout en consommant de l’alcool ». Insulter le président est un crime en Turquie.
 
Erdogan, dans son discours de victoire, a vanté « une Turquie qui a décidé de choisir le parti de la croissance, du développement, de l’investissement, de l’enrichissement ». Pourtant, la situation économique du pays, après avoir été l’argument-clé du « sultan » pour asseoir son pouvoir, devient son boulet, avec une inflation élevée et une fuite de capitaux.
 

Erdogan reçoit les soutiens de Poutine, Maduro, Rohani

 
Erdogan pourra se consoler en brandissant les messages de solidarité et de félicitations qu’il a reçus. Le président russe Vladimir Poutine l’a congratulé, vantant « sa grande autorité politique et son soutien populaire » lesquels « aideront la Turquie à répondre aux questions économiques et sociales et affermiront la position du pays dans l’arène internationale ». Le président-dictateur communiste du Venezuela Nicolas Maduro, qui entretient des relations chaleureuses avec la Turquie, a évoqué « une victoire fantastique ». En décembre dernier, Erdogan avait invité Maduro pour une conférence anti-israélienne organisée par l’Organisation de la coopération islamique (OCI).
 
Le dirigeant iranien Hassan Rohani a exprimé sa « joie » et son « bonheur », le Palestinien Mahmoud Abbas s’est félicité « du succès du processus démocratique turc », ce à quoi Erdogan a répondu en assurant Abbas de son « soutien indéfectible à la juste cause palestinienne », affirmant « son droit à la liberté et à la stabilité ».
 
Notons qu’en Allemagne, où la communauté d’origine turque s’élève à quatre millions de personnes qui ont voté aux deux tiers pour Erdogan, le gouvernement fédéral a exprimé son soutien à la coopération avec la Turquie malgré les tensions autour de l’interdiction de meetings électoraux turcs sur le sol allemand. Erdogan fait peser sur l’Europe la menace de lâcher ses millions de migrants retenus en Turquie, qu’il accepte pour l’instant de retenir moyennant une subvention européenne qui se chiffre en milliards d’euros.
 

Matthieu Lenoir