S-300, pétrole, biens : la Russie multiplie les contrats avec l’Iran – et les Etats-Unis approuvent

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A couteaux tirés, la Russie et les Etats-Unis ? Nonobstant les apparences contraires, et quelques passes d’armes verbales à propos de l’Ukraine, Poutine peut se permettre un certain nombre de libertés qui devraient faire réfléchir les tenants d’une opposition irréductible entre le géant américain et le « protecteur de l’identité européenne ». A peine l’encre du pré-brouillon du traité sur l’Iran et le nucléaire avait-elle séché que la Russie annonçait la rupture de son embargo pour en ce qui concerne la vente de missiles de défense antiaérienne S-300 à l’Iran (voir ici l’article de reinformation.tv). La Russie s’apprête ainsi à honorer un vieux contrat. Mais ce n’est pas le seul. Et que font les Etats-Unis ? Rien. Ils approuvent tacitement…
 
Parallèlement à la levée de l’interdiction d’expédier ces armes défensives vers l’Iran, un haut responsable du gouvernement russe annonçait en ce début de semaine que la Russie avait déjà commencé à fournir des céréales, des équipements et des matériaux de construction à son voisin tandis que l’Iran, au termes de ce contrat de troc, lui livre une quantité non négligeable de pétrole brut. On parle 500.000 barils par jour, en référence à un contrat en discussion depuis l’an dernier d’une valeur de 20 milliards de dollars, contournant les sanctions sous couvert de livraisons de « pétrole contre biens ».
 

Missiles S-300, céréales, pétrole, biens : la Russie et l’Iran multiplient les contrats d’échange

 
Le vice-ministre russe, Sergeï Ryabkov, assurait lundi que de tels échanges étaient déjà en cours « à une échelle significative », et qu’ils n’étaient nullement bannis sous le régime actuel de sanctions. C’est à peu près tout ce que l’on en sait : ni l’Iran, ni les ministères russes de l’Agriculture ou de l’Energie n’ont voulu commenter ces affirmations.
 
Ce qui est clair, c’est que la Russie, prévoyant la conclusion d’un accord avec l’Iran qu’elle a toujours soutenu et promu, a pris les devants pour ce qui est des retombées économiques d’une levée des sanctions. Première sur les rangs, forte de négociations déjà bien mûres, elle semble avoir doublé les autres partenaires à l’accord : les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Chine.
 
L’accord arraché malgré les multiples difficultés et oppositions, malgré, surtout, les manœuvres de Benjamin Natanyahu pour éviter une entente qu’il continue d’estimer potentiellement mortelle pour Israël, n’est pas encore conclu dans les détails. Surtout, le régime de la levée des sanctions est loin d’être défini, d’autant qu’elles doivent disparaître graduellement, quand l’Iran se conformera progressivement aux obligations qu’elle contractera.
 
En brûlant les étapes, la Russie – qui se pose ouvertement dans le camp de l’Iran, de la Syrie de Bachar el-Assad, et de quelques autres supposés empêcheurs de mondialisation à domination américaine – n’a pas pour autant attiré les foudres des Etats-Unis.
 

Les Etats-Unis ne dénoncent pas les contrats entre la Russie et l’Iran

 
Ceux-ci ont réagi avec une étonnante retenue. Lundi, le secrétaire d’Etat John Kerry a parlé d’« inquiétudes » des Etats-Unis à propos de la vente des missiles antiaériens à l’Iran par la Russie. Il est vrai qu’Israël s’y était opposée vigoureusement en son temps aux côtés des Etats-Unis, avant que les sanctions à propos du nucléaire n’interrompent le processus : les alliés, alors encore inséparables, faisaient valoir que sans menacer directement l’Etat hébreu, le système S-300 permettrait à l’Iran de protéger ses usines nucléaires en cas d’attaques aériennes. La Russie avait passé outre et la vente avait été conclue en 2010.
 
Mais l’« inquiétude » du secrétaire d’Etat américain ne prête pas à conséquence. La même porte-parole qui en faisait état lundi dernier, Marie Harf, ajoutait aussitôt qu’elle ne pensait pas que les actions russes allaient faire du tort à l’unité entre les grandes puissances à propos des négociations sur le nucléaire.
 
Le ministre des Affaires étrangères russe a pu déclarer sans se voir contredit que l’accord conclu avec l’Iran à Lausanne à propos du nucléaire levait toute inquiétude pour Israël et que les « avancées » à prévoir rendait la reprise des accords à venir entre la Russie et l’Iran, notamment pour les S-300, « absolument légitimes ».
 

Russie et Etats-Unis s’entendent, malgré Israël

 
La Russie, partenaire mais aussi concurrente de l’Iran pour ce qui est du pétrole et du gaz, a de toute façon tout intérêt à s’entendre avec lui avant son retour plein et entier sur les marchés internationaux.
 
L’affaire souligne également combien les oppositions, conflits et autres régimes de sanctions permettent de ménager les conditions de futurs booms économiques. Leonid Ivashov, général russe à la retraite qui dirige désormais le Centre pour l’analyse géopolitique de Moscou, un think-tank russe, voit les opérations actuelles comme faisant partie intégrante de la course aux contrats avec l’Iran : « Si nous retardons les choses maintenant et que l’Iran doive attendre, alors demain, à la levée intégrale des sanctions, ce sont Washington et ses alliés qui feront main basse sur le gros marché iranien. »
 
Washington ne semble pas tenté de se ménager cet avantage en dénonçant l’activité russe. Et ne se comporte pas en « bloc hostile »…
 

Anne Dolhein