Voile ou pas voile ? La « diversité » à la conquête des emojis

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Les emojis, les petites images qui accompagnent les messages des réseaux sociaux, comporteront-ils bientôt un voile ? C’est ce qu’exige une jeune saoudienne vivant en Allemagne. Le mécanisme de la conquête de l’espace public intime par la diversité ne manque pas d’intérêt. L’islam est loin d’en être le seul bénéficiaire. C’est tout le politiquement correct qui se rend visible et s’impose ainsi.
 
Comme toutes les lycéennes d’Allemagne, Rayouf Alhumdhia, petite Saoudienne de quinze ans, tapote sur son smartphone des messages ornés d’emojis. Pour exprimer ses émotions et ses pensées, elle se sert de ces petites images, personnages, animaux, cœurs, ou visages ronds stylisés, avec ou sans accessoires, exprimant gaîté, tristesse, doute, colère, toute une gamme d’états et de sentiments codifiés, standardisés, que les geek du monde entier partagent. Elle se sert comme toutes ses petites camarades d’emojis représentant un père Noël ou un lapin, mais, pour exprimer l’intégralité de sa pensée et de sa personnalité (son identité), elle s’est aperçue qu’il manquait un emoji fondamental, le voile musulman.
 

Le voile pour exprimer la fierté des musulmanes

 
Aussi a-t-elle pris sa plus belle plume pour écrire un mot au consortium Unicode ; « À l’ère du numérique, les images sont un élément crucial pour la communication (…) Environ 550 millions de femmes musulmanes dans le monde portent le voile avec fierté. Et pourtant, aucun espace ne leur est réservé sur le clavier ». Le consortium Unicode, lié à toutes sortes d’individus, entreprises, ONG ou États, se compose d’une vingtaine de membres associés, qui n’ont pas voix délibérative, et de dix-huit membres jouissant du droit de vote, tous des géants informatiques comme Google, Apple, Microsoft, IBM ou Facebook, sauf l’université de Berkeley, en Californie, les gouvernements du Bangladesh et du Tamilnadu (État indien), et… le ministère des affaires religieuses du sultanat d’Oman. C’est lui qui décide des caractères qu’on peut utiliser sur les ordinateurs, les téléphones portables, sur les réseaux sociaux, c’est donc lui qui dresse la liste des emojis acceptés et reçus sur les réseaux par la communauté des geeks du monde entier.
 

Les emojis doivent exprimer le politiquement correct

 
Ses décisions sont souveraines, s’appliquent à tous et régissent ce qu’il est convenable ou non d’exprimer dans les conversations par SMS ou sur les réseaux sociaux, c’est donc lui qui formate ce qu’on pourrait appeler l’espace public intime. Les patrons des géants de l’informatique qui s’attellent à cette tâche s’en font un devoir moral et respectent scrupuleusement le code du politiquement correct. Un exemple, cette année, pour les JO de Rio, la nouvelle liste 9.0 devait comporter parmi ses 72 nouveaux emojis celui d’un fusil, pour honorer le tir de compétition olympique (il y a aussi un gant de boxe, etc). Mais Apple, Microsoft et Google sont engagés dans la campagne de lobbying contre la détention d’armes à feu aux États-Unis et ont obtenu le retrait de l’emoji fusil. En retenant l’argumentation de Chrissie Hall, membre de l’association britannique Intertrust : « Ce serait choquant pour bien des personnes qui ont été blessées ou affectées par des incidents liés aux armes. Cela contribuerait à populariser l’image d’une arme, ce qui n’est pas une bonne idée ».
 

La conquête de la diversité par les emojis

 
Cet incident montre quatre choses. Premièrement, l’importance de cette question apparemment futile. C’est par milliards que se comptent les utilisateurs d’emojis par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou du téléphone portable. Il existe aujourd’hui près de 2.000 emojis répertoriés, qui composent une véritable écriture idéographique appelée à devenir peut-être un langage commun à l’humanité. Pour Craig Fedrighi, qui représentait Apple en juin à la conférence des développeurs de San Francisco, « les enfants de demain ne comprendront rien à la langue anglaise », mais ce n’est pas grave : « Parfois vous avez fini votre message et vous vous rendez compte qu’il manque d’emojis. On a trouvé la solution : quand vous cliquerez sur le bouton emoji, on vous indiquera tous les mots « emojifiables » dans votre texte. Les mot basket-ball pourra alors se transformer en ballon, pizza en part recouverte de sauce tomate »
 
Deuxièmement, la puissance et l’influence des géants de l’informatique, qui décident en fait de la communication internet de toute la planète. Troisièmement, le politiquement correct de leurs dirigeants. Une soumission uniforme à la pensée convenable : la décision a été prise à l’unanimité. Quatrièmement, enfin, la police de la pensée avance sous le masque de la compassion et du respect : c’est pour éviter que des individus ou groupes se sentent « offensés » ou « blessés » que certains emojis sont interdits. Tout cela ensemble montre que la question des emojis est une question politique qui détermine la mentalité des utilisateurs, les jeunes en particulier, à travers la gestion de l’espace public intime. D’où la nécessité d’examiner celle-ci, et la conquête progressive de la mentalité mondiale par la « diversité ».
 

Le phénomène a du vent dans les voiles

 
Les emojis, nés au Japon, sont partis à la conquête du monde en intégrant peu à peu les manières de voir et de pensée standardisées de l’Occident dès 2011, une fois qu’ils ont été intégrés dans IOS5, le système d’exploitation mobile d’Apple. Parmi celles-ci, on trouve d’abord celles qui font l’objet d’un consensus idéologique, qui ne sont pas « controversées ». Il y a par exemple des emojis de taco, de burger frites ou de bouteille de champagne (quand les campagnes anti-viande auront abouti, le burger frites sera sans doute interdit pour ne pas offenser nos frères animaux et léser le droit du vivant, mais pour l’instant, il demeure licite et encore consensuel). Cependant, en 2015, Peter Edberg, d’Apple, et Mark Davis, de Google, qui est aussi le patron de Unicode, ont décidé d’en finir avec la vision « OCDE centrée » des emojis : « Les gens à travers le monde veulent des emojis qui reflètent d’avantage la diversité humaine, tout particulièrement la couleur de la peau ». Cette déclaration de principe racialiste a été suivie d’effet. Longtemps demeurés blancs ou jaune, leur couleur par défaut, les emojis sont devenus café au lait, tabac clair ou noir charbon. lls ont suivi la classification de Fitzpatrick, échelle utilisée en dermatologie pour déterminer les divers types de peau.
 

Les emojis : fusion humaniste ou régression intellectuelle ?

 
Bien sûr, la diversité raciale n’est pas tout. Unicode s’est aussi penché avec sollicitude sur l’égalité des sexes et le cas des LGBT. Il y a désormais des emojis de doctoresses et de laborantines. Et surtout des emojis de couples et de familles avec deux femmes et deux hommes. Et maintenant se pose la question du voile, c’est-à-dire de l’intégration des revendications musulmanes dans la représentation de l’univers mental démocratique mondiale, c’est à dire encore de la fusion de l’islam dans la république universelle ouverte à la diversité. La conquête de cette république universelle s’accélère et s’étend.
 
Cette intégration de l’islam est le début d’une fusion globale de toutes les religions, de toutes les pensées, us, costumes et coutumes, dans un grand tout humaniste qui aura sa gamme complète d’emojis. Cette fusion régressive s’accompagne d’une régression intellectuelle, puisque le retour à l’écriture idéogrammatique est une régression par rapport à l’écriture alphabétique, qui permet la pensée rationnelle et discursive qu’ont initié les Grecs. Les emojis sont une forme de miracle grec inversé.
 

Les stratagèmes de la conquête

 
On notera pour finir la méthode utilisée pour faire passer la chose. Dans le cas de la petite Saoudienne, le choix émotionnel d’une femme, et jeune, une « adolescente de la diversité » pour émettre la revendication, la respectueuse requête au grand consortium Unicode (on évite l’échelon des politiques, dévalués). Le vote des internautes (sa requête en faveur du voile n’a « obtenu que 512 votes contre 10.000 pour les emojis les plus populaires » : est-ce encore trop tôt ou va-t-il y avoir une « mobilisation » ?). Enfin le soutien à la jeune musulmane d’Alexis Ohanian, cofondateur du réseau Reddit, activiste geek très engagé pour un « web libre » contre, par exemple, le SOPA (stop on line piracy act) : en d’autres termes, la communauté des jeunes libres et entreprenants d’internet se mobilise pour l’égalité et la justice contre les scléroses discriminatoires héritées du passé. Et v’la le travail !
 

Pauline Mille