Oui au Brexit : les Britanniques en liesse, mais l’euphorie ne doit pas empêcher la vigilance

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Malgré les annonces d’apocalypse, les Britanniques ont donc voté pour le Brexit. Jubilation ! Si David Cameron s’est senti obligé de prendre la mesure de sa défaite et d’annoncer sa démission, effective en octobre, les défenseurs de la souveraineté nationale sont en liesse. L’euphorie de la victoire du Leave déborde sur les autres pays européens pieds et poings liés par l’Union européenne, et comme prévu les partis souverainistes demandent des consultations similaires. Le choc est tel que la vigilance s’impose : les entourloupes restent possibles. Les bourses chutent, les recherches sur Internet sur les moyens de se procurer de l’or explosent au Royaume-Uni et les cours montent, la livre sterling a plongé de plus de 5 % et des oiseaux de malheur annoncent une crise économique inéluctable outre-Manche. Il faut dire que tout avait été fait pour que la nervosité s’installe, et que les traders ont une sensibilité notoirement exacerbée.
 
Comment tout cela a-t-il été possible ? En recueillant quelque 52 % des voix, la proposition de quitter l’Union européenne a franchi des obstacles que l’on aurait pu imaginer insurmontables : le poids de l’« établissement », les pressions de toutes sortes de la part d’une partie du monde de l’industrie et de la finance, et jusqu’à l’assassinat de la députée Jo Cox. Tout cela fait apparaître le vote britannique comme un pied de nez au mondialisme et une victoire du peuple contre les puissances.
 

La liesse des Britanniques, signe d’une réelle volonté populaire

 
Par rapport à la puissance des forces qui dominent le monde, et dont on a vu combien elles étaient prêtes à tout pour semer la panique face à une décision qui ralentit l’intégration régionale, il s’agit d’une manifestation de résistance remarquable. A l’évidence, l’opinion n’est pas manipulable à l’infini et les grandes campagnes publiques ne convainquent pas autant que leurs meneurs le souhaiteraient.
 
Internet y est bien sûr pour beaucoup. Les sources d’information alternative – comme celle-ci – empêchent la pensée unique de s’imposer de manière uniforme. La grande presse a perdu de son crédit. Dans de très nombreux domaines – et cela va de l’information vaticane jusqu’aux grandes frayeurs sanitaires qui ne « prennent » pas, comme le démontra il y a quelques années la résistance à la vaccination contre la grippe H1N1 – les internautes cherchent à se faire leur propre idée des choses. Cela aboutit évidemment à des théories complotistes en nombre, ouvertes à toutes sortes de propagande, et à la diffusion de rumeurs incontrôlables, mais l’aspect positif relativise beaucoup ces risques : il est aujourd’hui possible d’accéder à l’expression d’une pensée droite et de tenter de se faire une idée juste de la réalité.
 
Dans le cas de la campagne pour le Brexit, il faut y ajouter un autre facteur. La presse britannique n’est pas monolithique, les débats télévisés ont pu tourner au détriment de David Cameron y compris par l’action des journalistes. De très gros titres comme le Daily Telegraph ou le tabloïde Daily Mail n’ont pas fait mystère de leur engagement en faveur de la sortie de l’Union européenne. Sans complexes, ils font aujourd’hui de Nigel Farage le héros du jour, saluent sa victoire : c’est un peu comme si Le Figaro avait jubilé à pleines pages en 2005 lors du referendum français qui refusa la Constitution européenne. Même la reine d’Angleterre a laissé deviner sa préférence en demandant très récemment lors d’un dîner si quelqu’un pouvait lui donner trois bonnes raisons de rester dans l’UE…
 

L’euphorie du Brexit ne doit pas faire oublier les entourloupes passées

 
Le « non » français, plus franc et massif encore, avait été obtenu de haute lutte face à des obstacles similaires mais n’avait pas produit les mêmes conséquences politiques. Personne n’avait démissionné. Et son objet était beaucoup moins radical : il s’agissait de stopper une solution et non de défaire une construction déjà existante.
 
Comme le referendum néerlandais tenu quelques jours plus tard, rejetant lui aussi le traité constitutionnel, le vote français a été vidé de sa substance par des manipulations diverses : Nicolas Sarkozy a réintroduit par voie parlementaire un texte largement similaire au traité et le tour a été joué. Aux Pays-Bas, on s’est appuyé sur le caractère consultatif du referendum pour avancer comme si rien n’avait été changé.
 
Pourquoi cette liberté de ton médiatique au Royaume-Uni ? Entend-on réellement prendre en compte la volonté du peuple qui elle, ne fait pas de doute ? Le Royaume-Uni veut reprendre en main son destin et il résiste à toute force au tsunami migratoire qu’il relie sans hésiter à la liberté de circulation au sein de l’UE et à la mainmise européenne sur la politique du droit d’asile. Le facteur de l’immigration a certainement joué fortement dans la décision des Britanniques.
 
Mais de là à supposer que le Brexit soit une catastrophe absolue pour tout ce que le monde compte de globalistes il y a un pas. De grands industriels, de grandes puissances financières ont dit leur préférence pour la sortie : il y a, quoi qu’en disent les Cassandre, le Royaume-Uni a de réels avantages financiers et commerciaaux à un recentrage vers l’Ouest, avec son proche partenaire américain, et ailleurs dans le monde où la réglementation tatillonne de l’Union européenne ne viendra entraver ni sa finance ni son commerce. Le monde n’est pas monolithique, il y a des forces politiques lourdes en présence, des tendances s’affrontent et comme disent les Anglais, « la viande de l’un est le poison de l’autre ». En vérité, tous les scénarios sont aujourd’hui envisageables : de la sortie douce, voire très douce et très lente, à une confrontation de taille parce que le Brexit remet en cause une tendance de fond vers l’intégration régionale. Le Brexit se fera-t-il ? Cela reste aujourd’hui une vraie question.
 

L’avenir à l’aune du Brexit : les incertitudes dominent

 
Aujourd’hui, le Royaume-Uni jubile et l’on fait des projections pour l’avenir. Le maire de Londres, Boris Johnson, est déjà pressenti par les médias comme possible prochain Premier ministre. Farage a réclamé un « gouvernement du Brexit », qui sera chargé de négocier les conditions du départ. Mercredi, les bruits se multipliaient côté européen pour dire qu’il n’y aurait pas de cadeaux : aujourd’hui, ce sont au contraire les appels au calme qui se multiplient depuis les capitales européennes. Romano Prodi, ancien premier ministre italien, veut croire que le Brexit n’aura pas pour conséquence le démantèlement de l’UE. Il note que le vote pour la sortie est le fait de la province britannique, alors que Londres a majoritairement voté « Remain » : il en voit pour cause l’austérité imposée aux gens les plus simples.
 
« J’espère que… tous les accords commerciaux continueront sans changement par rapport au passé. Nous devons assumer les conséquences politiques mais minimiser des conséquences économiques », a-t-il dit.
 

La sortie de l’UE, prétexte à davantage d’intégration pour ceux qui restent ?

 
Le gouverneur de la banque d’Angleterre, Mark Carney, s’est lui aussi voulu rassurant, reconnaissant que le Royaume-Uni va au-devant d’une période d’incertitude et d’ajustement mais que rien ne change pour le moment, ni pour les hommes ni pour les affaires, et que son institution à la situation bien en main.
 
A-t-on donc fait peur aux Britanniques pour rien ?
 

Une nécessaire vigilance

 
La vraie peur qui peut les gagner aujourd’hui est de voir leur vote confisqué. Le Royaume-Uni va au-devant de négociations qui peuvent être démesurément longues alors que le traité de Lisbonne, dans son article 50, reste très laconique quant aux conditions concrètes d’une sortie. Bruxelles considère l’affaire comme un désastre et un désaveu, et fera certainement tout pour bloquer le processus. La rétorsion n’est pas à exclure : il faut bien dissuader les autres pays membres de faire un choix semblable. On imagine l’ambiance de crise. Il paraît que les banques centrales du Japon, de la Suisse et d’autres pays ont proposé d’injecter des liquidités dans l’économie pour compenser la crise. Quelle est la part de mise en scène ?
 
Les négociations de l’article 50 vont-elles réellement être entamées ? C’est une autre question. Et la campagne pour le Brexit n’est même pas pressée : ses porte-parole ont déclaré qu’on pouvait se contenter de négociations informelles, et qui pourraient même durer plusieurs années. Une fois l’article 50 mis en action, un délai de deux ans se met à courir : ce n’est qu’à leur issue que le traité de Lisbonne cesserait de s’appliquer au Royaume-Uni – qui en revanche ne pourra plus participer à l’élaboration de nouvelles lois européennes. Cela laisse de la marge.
 
Les autres pays membres de l’UE auront leur mot à dire : les termes de la sortie du Royaume-Uni devront être discutés et approuvés par chacun, puisque chacun d’entre eux a un droit de veto en la matière. Non seulement cela : il faudra ensuite ratifier l’accord de sortie et les parlements nationaux de n’importe quel pays de l’Union seront en mesure de bloquer le processus.
 
Côté britannique, une fois la sortie actée, il restera à mettre en place de nouveaux accords commerciaux, cette fois souverainement négociés par le Royaume-Uni qui devra trouver des accords non seulement dans l’ensemble du globe – pas question de revenir sur le libre-échangisme – mais aussi avec le partenaire « répudié ». Et sur place, il faudra recréer des lois nationales dans tous les domaines où l’Union européenne a pris le pas, ce qui laisse prévoir une intense activité législative pour les années à venir si tout va comme les Britanniques l’espèrent.
 
L’accent est déjà mis dans les médias, sur la complication et le coût de la mise en œuvre du Brexit. Encore une manière de faire peur ?
 
A Bruxelles, on ne perd pas le nord. La sortie britannique sera mise à profit par certains pour promouvoir une plus forte intégration encore au sein de ce qui reste de l’Union : l’unification militaire – un plan devait être adressé à tous les gouvernements par Federica Mogherini ce vendredi – pourrait être plus intense entre ceux qui restent. Jean-Claude Juncker est partisan de la mise en place d’une zone euro encore mieux « intégrée » avec son propre ministre des finances. Ce que les peuples rejettent, l’Europe veut le renforcer. Le départ du trublion britannique, qui a toujours conservé une plus grande liberté d’entreprendre et d’investir, pourrait aussi assurer à l’UE le retour des sociétés financières qui ont profité de l’intégration européenne pour diriger leurs opérations depuis Londres : pour elles, les vacances sont finies. La revue Capital n’y voit que des avantages pour Paris…
 
Mais rien n’est fait. L’Union européenne s’est montrée jusqu’à présent d’une inventivité sans limite pour conserver son existence.
 

Anne Dolhein