« Cessation des hostilités » sous une semaine en Syrie ? La Russie prend la main face aux Etats-Unis

Syrie cessation hostilités Russie Etats Unis
Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, John Kerry, le 12 février 2016 à Munich (Allemagne).

 
Cinq heures de négociations ont été nécessaires à la grande réunion internationale à Munich, consacrée au dossier syrien, pour relancer le processus de paix. Les membres du Groupe international de soutien à la Syrie (qui rassemble dix-sept membres dont la Russie, les Etats-Unis, la France, l’Arabie saoudite, l’Iran ou le Royaume-Uni et des organisations internationales parmi lesquelles les Nations unies et la Ligue arabe) se sont mis d’accord pour « une cessation des hostilités ».
 
Mais « les territoires contrôlés par les groupes terroristes » ne seront apriori pas concernés. Et les protagonistes de la guerre civile syrienne n’étaient pas présents autour de la table. Autant dire que le bras de fer se situait avant tout entre la Russie et les Etats-Unis…
 

Accord : « cessation des hostilités » sur le territoire syrien

 
« Nous avons convenu une cessation des hostilités dans tout le pays dans un délai d’une semaine », a déclaré le chef de la diplomatie américaine, John Kerry. « Les États-Unis et la Russie vont piloter les modalités de mise en œuvre de cette cessation des hostilités », a précisé le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. « Cet arrêt des hostilités concernera toutes les parties au conflit à l’exception des groupes terroristes Daech (Etat Islamique) et Al-Nosra (Al-Qaïda) ».
 
Donc, plutôt une « pause » qu’un véritable « cessez-le-feu ». Et puis, l’armée syrienne et les troupes des rebelles dits modérés l’accepteront-elles ? Qu’en est-il des frappes aériennes sur les troupes de l’Etat Islamique ? Des diplomates occidentaux, cités par le Guardian, confirment que la Russie n’a pas donné son accord pour mettre fin à ses bombardements. De son côté, la coalition internationale chapeautée par Washington n’entend pas apriori cesser non plus ses frappes… Beaucoup de flou demeure donc.
 
Plus défini est le deuxième volet de l’accord qui constitue la livraison imminente d’une aide humanitaire importante à la population syrienne, en particulier à une série de villes assiégées, parmi lesquelles Deir Ezzor. Il est aussi entendu que les négociations inter syriennes, suspendues début février, doivent reprendre dès que possible, des négociations qui doivent avoir lieu « sans ultimatums et conditions préalables » (Sergueï Lavrov) – comme le départ d’Assad.
 

Victoire diplomatique de la Russie ?

 
Les États-Unis pourront toujours arguer des velléités guerrières russes, c’est Moscou qui a fait cette proposition de cessez-le-feu, juste avant le début de la réunion bavaroise.
 
Washington crie haut et fort qu’elle le demande depuis des mois, c’est-à-dire depuis que les Russes ont commencé à soutenir l’armée syrienne dans leur pilonnage aérien – il faut dire que cela remettait en cause son programme syrien de chaos organisé. De fait, ces quatre mois ont permis à Moscou de retourner quelque peu la situation.
 
Grâce à l’intervention russe, l’armée syrienne a relevé la tête. Elle avançait encore jeudi vers l’un des bastions les plus importants de l’insurrection dans la région d’Alep, une zone névralgique, en ce qu’elle touche la frontière turque et permettait de ce fait un approvisionnement en armes et une infiltration de combattants continuels… En huit jours, l’aviation russe aurait détruit près de 1.900 cibles terroristes, selon le ministère russe de la Défense.
 
La rébellion connaît un sérieux revers – les Russes peuvent prendre l’initiative des négociations…
 

« La campagne opérationnelle de la défaite » de l’Etat Islamique (Carter)

 
… et avertir, en même temps, contre toute velléité étrangère de modifier la donne ! La mise en garde de Moscou a été claire. Dans un entretien au quotidien allemand Handelsblatt, à paraître aujourd’hui, vendredi, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a estimé qu’une offensive terrestre étrangère en Syrie présenterait le risque de déclencher une guerre permanente. « Les Américains et nos partenaires arabes doivent vraiment réfléchir (…). Nous pouvons différer dans nos opinions sur certains dirigeants politiques, mais ce n’est pas une raison suffisante pour débuter une intervention ou attiser les troubles de l’intérieur. »
 
C’est une réponse aux tentations qui agitent parallèlement la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. Jeudi après-midi, à Bruxelles cette fois, quelques heures avant la confrontation de Munich, se sont réunis tous les protagonistes de la coalition anti-Etat Islamique – une concomitance parfaite. Le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter y a parlé d’« une nouvelle étape », en exigeant l’augmentation des contributions militaires de ses partenaires dans la campagne contre l’organisation djihadiste, tant en Irak qu’en Syrie. Obama a lui-même demandé, pour cette année, de doubler le budget américain.
 

Une intervention terrestre en Syrie ?

 
Bien sûr, c’est officiellement pour contrer l’Etat Islamique – et ça l’est en partie, le levier d’appui originel de la guerre civile syrienne s’avérant aujourd’hui très encombrant pour beaucoup. Mais cela pourrait servir une intervention plus radicale, à même de défaire plus parfaitement le régime de Damas.
 
L’Arabie saoudite, qui voit grandir d’un très mauvais œil son rival iranien, soutien de la Syrie, a ainsi parlé de dépêcher des troupes au sol, conjointement avec des forces venues d’Egypte, de Turquie, du Soudan, du Maroc, de Jordanie, du Qatar, du Bahreïn et des Émirats arabes unis (une idée largement soutenue par Manuel Valls). Ce qui constituerait une véritable déclaration de guerre au gouvernement syrien – ce dernier a averti que le moindre de ces combattants reviendrait au pays « dans un cercueil de bois »…
 
Et il est même question que l’Otan fasse son apparition en personne, sur la scène de « résolution du conflit ». L’aide n’est pour l’instant qu’indirecte : l’organisation a déployé ses avions de surveillance Awacs au-dessus des Etats-Unis, de façon à permettre à l’armée américaine de libérer ses propres appareils. Mais selon Ashter, « en tant que nouveau membre, l’Otan apporterait des capacités uniques à la coalition, ainsi que son expérience dans le renforcement des capacités chez des partenaires, dans l’entraînement de forces au sol et dans la stabilisation post-conflit »…
 

« Il faut travailler avec la Russie » selon les Etats-Unis

 
Autant de perspectives qui ne réjouissent pas la Russie. Mais il semble que Moscou ait néanmoins gagné une manche, avec cette « cessation des hostilités » : aux yeux de tous, les pyromanes seront désormais ceux qui engageront de nouveaux moyens contre Assad.
 
En outre, il va être de plus en plus difficile de faire oublier que c’est l’implication militaire de Moscou qui a donné les plus sérieux revers à l’Etat Islamique, et par delà, aidé au processus de résolution du conflit – et non l’inverse, ainsi que l’administration américaine le martèle. L’ancien président du Comité militaire de l’Otan, Harald Kujat, vient même de le déclarer dans le journal allemand Deutsche Welle.
 
Après, la Russie y a ses propres intérêts – c’est évident. Mais c’est une autre histoire…
 

Clémentine Jallais