L’affaire Litvinenko revient sur le devant de la scène… politique : Londres accuse Poutine

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Un portrait de l’ancien espion russe Alexandre Litvinenko, exposé dans une galerie moscovite, le 23 mai 2007.

 
Aucune condamnation judiciaire intrinsèque et pourtant une accusation politique en règle. Le Premier ministre britannique a fait fort en accusant, jeudi, la Russie, et par-delà son président Vladimir Poutine, d’être à l’origine de l’empoisonnement au polonium du dénommé Alexandre Litvinenko, agent russe passé au service de Londres, en 2000. L’affaire remonte au 1er novembre 2006, mais ses relents servent à point pour envenimer des relations diplomatiques déjà bien écornées.
 
Sans être excusables, ni en tout état de cause explicitées – et on n’en saura sans doute jamais plus –, ces méthodes fortes ne sont malheureusement pas seulement russes. Cette dénonciation de « l’affaire Litvinenko » désigne surtout la Russie comme l’impossible alliée…
 

Un ancien juge de la Haute-Cour de Londres accuse Lougovoï, Kovtoun et… Poutine

 
Le rapport britannique sur l’assassinat d’Alexandre Litvinenko, ancien espion du KGB exilé à Londres, a donc été publié hier, 21 janvier – la tête coupée d’un roi eut moins de préoccupations internationales…
 
Il renforce l’hypothèse d’un assassinat commandité par le président russe, Vladimir Poutine et exécuté par les deux suspects de l’époque : deux hommes d’affaires russes travaillant dans le domaine de la sécurité, ex-agents russes également, Dmitri Kovtoun et Andreï Lougovoï – aujourd’hui député d’un parti nationaliste et tout récent bénéficiaire, en mars, de la médaille de « l’Ordre du mérite pour la patrie »…
 
Alexander Litvinenko avait servi dans le KGB puis dans le FBS (successeur du KGB). Rentré en opposition avec Poutine, il avait proposé, sans succès, ses services aux Américains puis finit par rejoindre le MI6 londonien. L’espion continua à s’intéresser de près aux opérations secrètes gouvernementales russes, commit un livre sur la Seconde guerre de Tchétchénie et se pencha sur les activités de la mafia russe en Espagne.
 
Six ans après son arrivée au Royaume-Uni, le 1er novembre 2006, Litvinenko était empoisonné au polonium-210, un isotope radioactif, qui le fit mourir trois semaines plus tard. Il avait, entre autres, pris un thé au cours de la journée avec ses deux compatriotes russes – ces derniers furent très vite accusés du meurtre par la justice britannique.
 

« Nous renforçons encore notre action aujourd’hui » Cameron

 
« Je suis sûr que MM. Lougovoï et Kovtoun ont mis le polonium-210 dans la théière, le 1er novembre 2006. Je suis sûr qu’ils l’ont fait dans l’intention d’empoisonner M. Litvinenko », a estimé jeudi le juge Robert Owen dans ses conclusions. Et « cette opération du FSB a probablement été approuvée par Patrouchev (l’ex-chef du FSB) et aussi par le président Poutine ».
 
Le Premier ministre britannique David Cameron n’a pas moins mâché ses mots, en plein Forum de Davos : « Ce rapport confirme ce que nous avons toujours cru, et ce que le dernier gouvernement travailliste croyait à l’époque de ce meurtre épouvantable, c’est-à-dire qu’il a été commandité par un Etat ».
 
« Le précédent gouvernement avait décidé d’expulser les diplomates russes, de délivrer des mandats d’arrêt et de refuser de coopérer avec les agences de renseignement russes, des mesures qui persistent (…) Aujourd’hui, nous avons ajouté un gel des avoirs et allons solliciter à nouveau les autorités judiciaires pour voir ce qui peut être fait ».
 

Renforcement médiatique sur l’affaire Litvinenko

 
Le terrain avait été préparé médiatiquement par une grande investigation du journal The Guardian qui révélait en particulier les extraits des 18 entretiens, retranscrits et tenus secrets pendant plus de huit ans par la police britannique où Alexandre Litvinenko, malgré son état, livre tous les détails de sa version sur les circonstances de son empoisonnement ainsi que sur son passé d’agent secret en conflit avec les mauvaises manières de sa hiérarchie, l’emprise de la mafia etc… Il a d’ailleurs également accusé Poutine d’avoir ordonné son assassinat aux services secrets russes.
 
Le son de cloche est unanime. L’Express va jusqu’à titrer : « Il a même réussi à résoudre son propre meurtre »…
 
Mais rien n’est véritablement, judiciairement, résolu. Cette enquête publique sur la mort de Litvinenko, une procédure qui permet d’examiner à huis clos des documents classés, ne peut, de fait prononcer aucune condamnation. Et les « probablement » pullulent dans les conclusions du juge Owen.
 

Neuf ans plus tard, une campagne ad hoc ?

 
D’ailleurs, la réaction russe ne s’est pas faite attendre. Le Kremlin a parlé d’une « blague », à l’image de « l’élégant humour britannique »…
 
Un étalage d’« informations peu convaincantes » qui dénonce à lui seul une enquête politiquement orientée et manquant de transparence. « Nous regrettons que cette enquête purement criminelle ait été transformée en enquête politiquement motivée et qu’elle ait assombri l’atmosphère générale des relations bilatérales avec Londres » a déclaré la porte-parole du ministère des affaires étrangères.
 
Pourquoi cette affaire a été remise sur le tapis et est arrivée à de telles extrémités diplomatiques ?
 
C’est la vraie question qu’il faille se poser.
 
Car malheureusement, la disparition, l’empoisonnement, le meurtre des agents secrets – surtout des transfuges – est, quoique évidemment condamnable, un grand classique et commun à un certain nombre de pays, d’Occident y compris, bien évidemment – les usages de la Guerre Froide n’étaient pas qu’une tradition soviétique… Dans ce domaine compliqué de l’espionnage et du contre-espionnage, toute conclusion judiciaire est risquée et les motivations ne tiennent guère de l’humanitaire.
 
Comme l’a déclaré la veuve de Litvinenko, Marina, le verdict Owen est avant tout un « moment politique ». Une tasse de thé anglais bien empoisonnée….
 

Clémentine Jallais