L’incendie de Grenfell Tower, les parements inflammables et l’isolation obligatoire

incendie Grenfell Tower parements inflammables isolation obligatoire
 
Les flammes qui ont englouti Grenfell Tower, la tour de logements bon marché qui se dresse dans le quartier agréable, sinon cossu de North Kensington à Londres se sont éteintes, mais pas la colère d’une population modeste prise au piège d’un incendie trop redouté. Une semaine plus tard, on le sait avec certitude : ce sont les parements extérieurs, hautement inflammables, qui sont à l’origine d’un désastre prévisible, plus meurtrier encore qu’on n’aurait pu le craindre en raison des consignes imbéciles aux habitants de rester chez eux. Mais ce dont on parle moins, c’est de l’obligation d’isolation externe des bâtiments qui n’est pourtant pas pour rien dans cette histoire.
 
Histoire qui se double d’une exploitation « marxiste » : ce sont des pauvres qui sont morts, entourés de riches… Le très gauchiste leader des travaillistes, Jeremy Corbyn en a profité pour demander l’expropriation de logements pour abriter les familles survivantes qui ont tout perdu dans l’incendie. Et ce mercredi, à l’heure où la reine Elisabeth présentait le programme de gouvernement de Theresa May, une marche de « Jour de colère » prétend réclamer la « justice par n’importe quel moyen » – incitant plusieurs survivants à se désolidariser et à demander publiquement qu’on n’ait pas recours à la violence.
 

L’incendie de Grenfell Tower à Londres, cauchemar de la transition énergétique ?

 
On en sait aujourd’hui un peu plus sur ce qui s’est passé. L’incendie s’est déclaré dans un appartement du 4e étage de la tour qui en compte 27, en pleine nuit, en raison d’un réfrigérateur défectueux. Le locataire a prévenu les pompiers et ses voisins. L’intervention des pompiers, rapidement arrivés sur les lieux, a semblé efficace. Ils étaient même en train de quitter le bâtiment, ayant prévenu nombre de résidents que l’incendie était fini, lorsque, subitement, ils ont vu des flammes se propager rapidement vers le haut de la tour depuis l’extérieur de l’appartement où ils venaient d’intervenir.
 
Alors, seraient-ce les soldats du feu qui ont mal fait leur travail ? Pas si simple. Selon Dave Green, porte-parole national du syndicat des pompiers (Fire Brigades Union), les premiers intervenants n’avaient aucune raison a priori de penser que l’extérieur de la bâtisse était inflammable. Construite dans les années 1970, elle était conçue pour que chaque appartement forme une sorte de boîte capable de contenir un éventuel incendie, l’extérieur en béton ne présentant aucun risque.
 
« La nuit était chaude et si le feu était assez près d’une fenêtre ouverte les flammes ont pu aller à l’extérieur, touchant le revêtement où le feu a pu couver. En tant que pompier on n’aurait pas eu l’idée d’aller regarder dehors. Nous aurions supposé que l’extérieur du bâtiment n’était pas menacé », a-t-il expliqué.
 

Les parements inflammables responsables de la propagation de l’incendie

 
On a beaucoup parlé du revêtement de Grenfell Tower, choisi parce qu’il était bon marché, qui semble ne pas avoir été aux normes même si l’usage d’isolants en mousse n’est pas interdit en soi. Et qui de plus, en raison du vide qui le séparait de la surface des murs justement pour améliorer l’isolation, a agi comme cheminée, aggravant l’incendie dès l’instant où l’extérieur a vraiment pris feu.
 
L’absence de système d’alarme, l’absence de gicleurs automatiques, l’absence d’escaliers de secours (ils ne sont pas obligatoires au Royaume-Uni), l’absence de barrières de feu à l’intérieur du parement isolant, l’unique sortie et les consignes données de se calfeutrer chez soi ont fait le reste : aucune famille vivant aux derniers étages n’a survécu et les adieux poignants de nombreuses victimes sont aujourd’hui autant d’accusations face à des responsables qui ont préféré la rentabilité à la sécurité. De très nombreuses mises en garde avaient été adressées ces dernières années à la fois aux responsables municipaux – les logements étaient gérés par la Ville – et au gouvernement.
 
Ces alertes visaient en priorité des habitations qui ont « bénéficié » ces dernières années d’opérations de revêtement, à la fois pour des raisons esthétiques, pour ne pas trop déparer le voisinage, et pour des raisons d’économie d’énergie et de mise en conformité avec les normes « vertes ». De nombreuses tours semblables sont en effet dans une situation semblable à celle de Grenfell Tower aujourd’hui au Royaume-Uni.
 

Isolation obligatoire et autres règlements aux effets pervers

 
En décembre 2015, un groupe interparlementaire a ainsi écrit au ministre alors responsable de ces questions pour l’avertir du risque d’incendie extérieur sur les bâtiments comportant un revêtement extérieur. « Les constructions d’aujourd’hui comportent beaucoup plus de matériaux inflammables et faciles d’accès. Par exemple : des mix de bois et de polystyrène, aussi bien dans la structure, le parement et l’isolation. Ce risque se traduit souvent par des incendies parce qu’il n’y a pas de directives adéquates pour les développeurs immobiliers. Il y a peu, voire pas d’exigences en matière d’atténuation de la propagation d’incendies par l’extérieur ».
 
Tout cela n’a donné lieu qu’à des réponses d’atermoiement.
 
Et les obligations « vertes » s’étendent : sont-elles toutes sans risques ? En France, au nom de la transition énergétique, l’isolation systématique des toitures et des façades est une obligation depuis janvier 2017 lors des opérations de ravalement et de réfections de toiture de quelque importance, notamment par la mise en place de parements qui doivent permettre d’atteindre un niveau de performance énergétique compatible avec les objectifs nationaux, pour reprendre le jargon. Des dérogations sont prévues, notamment si l’on devait aboutir à une atteinte à l’aspect des façades. Ouf !
 
Mais il s’agit bien d’une dérogation au principe général, une liberté parcimonieusement accordée sous la pression. Et que vaut « l’aspect de la façade » pour une tour d’appartements ?
 
Allons plus loin. Comment se fait-il qu’on construise encore des tours pour y entasser des êtres humains, de vrais êtres humains de chair et d’os piégés dans des logements sans beauté qu’aucune lance à incendie n’atteindra jamais ?
 

Anne Dolhein