Discours du pape au Parlement européen : François le Temporel prêche l’Europe grand-mère

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Visite éclair et discours fleuve du pape François à Strasbourg devant le Parlement européen. Il y a prôné un supplément d’âme pour une Europe comparée à une « grand-mère fatiguée », très applaudi de tous sauf des paléo-laïcistes de type Mélenchon. Insaisissable sur la doctrine, le chef de l’Etat du Vatican brille dans le temporel et en séduit plus d’un par sa communication profane. Mais pour aller où ? Un feuilleton à suivre « mit brennender Sorge », avec un souci brûlant.
 
Accueilli avec chaleur par le président du Parlement européen, le socialiste allemand Martin Schulz, qui a vu dans son discours « une orientation dans une époque désorientée », le pape a donc capitalisé à Strasbourg la sympathie dont il jouit parmi les élites politiques et les médias. Il a récemment donné les gages nécessaires à cela : sévérité contre les Franciscains de l’Immaculée Conception, clins d’œil aux homosexuels (« Qui suis-je pour juger ? »), soutien affiché au cardinal Kasper et aux rédacteurs du rapport intermédiaire lors du synode sur la famille, enfin communication « informelle », notamment dans la Reppublica, aux antipodes de la sévère retenue doctrinale traditionnelle de l’Eglise. Le résultat est là : bien que les grands médias aient très peu relayé son discours, le pape François a été adoubé par le Parlement européen, comme d’ailleurs par l’assemblée du conseil de l’Europe.
 

Gollnisch salue un discours « riche et élevé »

 
Son discours, qui visait explicitement à introduire plus de spirituel dans l’ordre temporel a satisfait nombre de catholiques. C’est le cas du député européen du Front national Bruno Gollnisch, généralement répertorié parmi les fidèles traditionnels, lequel souhaite que « soit écouté » ce discours « riche et élevé ». Et d’énumérer quelques causes de satisfaction : « Il a exposé les causes de la désaffection d’une part croissante des peuples à l’égard de l’Union Européenne. Il a rappelé que les droits humains, que l’on invoque ici à tout instant, ne sauraient être l’expression d’une revendication individualiste et hédoniste, mais qu’ils découlaient de la nature et de la destinée spirituelle de l’Homme. » Il a rappelé la « rencontre perpétuelle du Ciel et de la Terre », l’apport « bimillénaire » du christianisme à l’Europe conçue comme « une famille de peuple », citant nommément Rome, la Grèce, les Celtes, les Germains et les Slaves, tous « pétris » par le christianisme. Il a lumineusement condamné « l’individualisme », célébrant « la famille, cellule fondamentale et élément précieux de toute société ». Parmi les causes de fatigue de l’Europe grand-mère, François a fermement condamné la culture de mort d’une société où « lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître. » Au Parlement européen, ce n’était pas si facile à dire.
 
Si l’on en avait le temps et la place, on pourrait ajouter plusieurs passages bienvenus, notamment sur la critique des institutions européennes, où le pape François fait sienne avec mesure la déception des peuples d’Europe face à Bruxelles, même si en fin diplomate il n’a pas insisté sur les tares du Parlement européen qui le recevait. Ou encore ce coup de patte contre les modes intellectuelles et morales désastreuses qui foisonnent dans la décadence spirituelle de l’Europe, « les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse. »
 

Un pape temporel leader spirituel de la démocratie ?

 
Il est plus urgent d’examiner comment ce discours s’inscrit dans le mouvement lancé par Paul VI en 1964 devant l’assemblée général de l’ONU pour introduire (ou maintenir) l’enseignement de l’Eglise dans l’ordre temporel. On se souvient que le pape Paul VI, féru de démocratie chrétienne, voyait dans l’ONU une chance extraordinaire, un embryon de ce qu’on ne nommait pas alors gouvernance globale : il espérait en quelque sorte que Rome en prît la direction spirituelle. C’est ce que l’abbé Georges de Nantes nommait le MASDU : l’Eglise deviendrait désormais un Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle. Cela était conforme à « l’ouverture au monde » et à la toute nouvelle « liberté religieuse ». Le pape Benoît XVI, jugé beaucoup plus traditionnel que Paul VI sur le plan de la liturgie, n’avait pas sur ce point une approche très différente ; il l’a montré dans son discours du 18 avril 2008, toujours devant l’assemblée générale de l’ONU. Entre les deux, Jean-Paul II, le pape qui a fait entrer en force le discours des droits de l’homme dans l’Eglise, avait planché lui aussi devant le Parlement européen, le 8 octobre 1988. C’était un an avant la chute du mur de Berlin, mais le pape d’alors avait montré des préoccupations proches de celles de François.
 

L’opposition au pape dans le Parlement européen

 
On se souviendra surtout qu’il avait été interrompu par le révérend Ian Paisley, pasteur irlandais, porteur d’une pancarte rouge où l’on pouvait lire : « Pape antéchrist ». Les protestants anglo-saxons sont toujours violemment anti-romains et antipapistes. Aujourd’hui, la seule opposition notable au Parlement européen a été exprimée par Jean-Luc Mélenchon et le parti radical de gauche. En somme les maçons à l’ancienne, les laïcistes de grand-papa. Ne perdant pas une occasion de faire parler de lui, Mélenchon a adressé à François une lettre ouverte commençant ainsi : « Monsieur le pape, votre place à la tribune du Parlement ne peut s’accepter dans le cadre d’une session officielle de notre assemblée ». Et d’ajouter « J’aurais préféré que vous soyez venu faire une messe dans la sublime cathédrale de Strasbourg, ce qui est dans vos devoirs, plutôt qu’un discours à notre tribune humaine, ce qui contrarie les nôtres ». Fait notable, tout en se disant « blessé par certaines opinions négatives » (avortement, mariage homo) du souverain pontife, le député européen a loué sa « sagesse et (sa) culture ».
 

François, l’Europe et la laïcité positive

 
Il y a tempête sous un crâne entre la « bonne image » d’ouverture répandue par le pape, ce que l’on pourrait nommer son odeur non pas de sainteté mais d’humanisme, et l’opposition de principe à toute présence religieuse dans la vie publique, qui est le dogme laïque, entendez maçon, traditionnel. Un autre combat se livre, déterminant pour les années à venir, entre justement la maçonnerie façon Combes ou Ferry, et les partisans de la laïcité positive, en pointe dans la maçonnerie moderne, qui souhaitent s’adapter aux sociétés plurielles émergeant en Europe, et rêvent en quelque sorte d’un consortium des grandes religions pour cornaquer la spiritualité et la morale des peuples soumis à la gouvernance globale. C’est le cas d’un Nicolas Sarkozy, qui, bien que n’étant pas maçon lui-même, a reçu le soutien de hauts dignitaires lors des discours de Latran et de Riyad en 2007 et 2008 sur ce thème. Il est significatif qu’en tant que candidat à la prochaine présidentielle, il ait appelé à tenir compte du discours du pape François. Cela n’est pas seulement pour s’abriter sous son auréole et grappiller quelques voix. Il se sent sur la même ligne que lui.
 

La maçonnerie, mère, grand-mère et maîtresse de la nouvelle gouvernance

 
Aussi, au-delà des points positifs relevés plus haut avec satisfaction, a-t-on le devoir de se poser quelques questions sur la visite du souverain pontife à Strasbourg. D’abord, Mélenchon n’aurait-il pas raison ? Ne vaudrait-il pas mieux encourager prêtres et fidèles à la prière que jouer les animateurs spirituels des politiciens « démocrates », qui le sont si peu ? Ensuite, le vocabulaire employé par le pape François fait quelquefois dresser l’oreille. Il chante la « dignité humaine » et exhorte l’Europe à retrouver ses « valeurs humanistes ». C’est manifestement un clin d’œil à la maçonnerie, qui s’inscrit sans mystère dans une collaboration pour l’animation spirituelle de la démocratie universelle. On ajoutera d’ailleurs, pour être tout à fait concret que le pape, parlant des flux d’immigration, a souhaité que la « méditerranée ne devienne pas un cimetière ». Sur le fait lui-même, seul Paul Valéry pourrait lui donner tort, mais que peut signifier cette périphrase jésuitique, sinon que le pape approuve toutes les associations et modifications juridiques qui peuvent venir en aide aux migrants, donc aux vagues migratoires, qui viennent du Sud. Il s’est d’ailleurs montré réservé envers « Triton », la nouvelle opération de contrôle des frontières européenne, qui devrait être un peu moins passoire que ce qui l’a précédé. Comme si, rêvant d’être le berger de la Démocratie Universelle, l’Eglise devenait la supplétive de la Gouvernance mondiale maçonne.