La technique d’édition génétique « CRISPR-Cas9 » endommage l’ADN : un danger « sous-estimé »

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Une nouvelle étude publiée lundi par Nature Biotechnology est venue apporter une douche froide à l’enthousiasme créé par la découverte d’un moyen facile et accessible d’édition génétique, le CRISPR-Cas9. Les lésions entraînées par le découpage et le remplacement de morceaux d’ADN à d’autres endroits du code génétique ont été « gravement sous-estimées », selon le principal auteur de cette recherche, Allan Bradley du Wellcome Sanger Institute britannique. Il parle d’un véritable signal d’alarme alors que les erreurs répertoriées laissent craindre l’apparition de maladies nouvelles en cas d’utilisation thérapeutique de la technique sur l’être humain, voire d’activation de cellules déclenchant le cancer.
 
L’effet immédiat de l’information a été de faire chuter la valeur de sociétés d’ingénierie génétique qui comptent sur le CRISPR pour l’apparition de moyens thérapeutiques nouveaux dont l’exploitation promet des revenus à coup de milliards de dollars – des baisses allant jusqu’à 10 % en quelques minutes.
 

Le CRISPR-Cas9 permet l’édition génétique facile, mais non sans danger

 
Est-ce donc un coup si sérieux qui est porté à l’espoir de la réparation d’ADN défectueux offert par cette technique de découpe et de remplacement ? La presse professionnelle y voit une mise en garde qui ne serait que la pointe d’un iceberg « digne du Titanic » : l’endommagement de l’ADN résultant d’une édition CRISPR-Cas9 peut se constater dans l’effacement de « milliers de bases d’ADN », y compris dans des zones de code génétique très éloignées du lieu d’intervention, activant des gènes qui devraient rester silencieux et réduisant au silence d’autres qui devraient être actifs.
 
Du côté des sociétés d’exploitation du CRISPR, on avance que les constats d’Allan Bradley et de ses collègues ne concernent pas nécessairement les cellules sur lesquelles elle compte appliquer la technique, ajoutant que le bouleversement génomique annoncé ne se constate pas lors de l’utilisation d’autres techniques. De toute façon, on travail sur le problème, ont ajouté les responsables.
 
Mais d’autres universitaires – dont l’un a réclamé l’anonymat parce qu’il est justement rémunéré par l’une de ses sociétés – habitués de l’utilisation du CRISPR-Cas9, se sont montrés plus affectés. Ce chercheur anonyme a jugé que l’étude était « sérieuse et crédible », et ce d’autant qu’elle corrobore les résultats d’autres recherches de moindre envergure.
 

L’ADN endommagé : un danger sous-estimé de la technique CRISPR-Cas9

 
Pourquoi est-on passé à côté de cette réalité qui semble donc bien établie ? « On trouve ce que l’on recherche », répond Bradley : jusqu’à présent, il semblerait que personne n’ait cherché à analyser les effets de l’édition génétique par CRISPR sur les « gènes en aval ». Peu d’études s’intéressent par ailleurs au séquençage complet de cellules éditées, d’autres utilisent une technique qui en elle-même ne tient pas compte de certains dommages causés par l’édition, empêchant d’en voir les effets collatéraux sur la double hélice de l’ADN.
 
Ce qui a le plus étonné les chercheurs, c’est l’étendue des dommages constatés après la modification réussie de l’ADN visé : une véritable réaction en chaîne qu’ils ont constatée de manière « fréquente » notamment sur des cellules souches embryonnaires de souris ou des cellules rétiniennes humaines. Si dans deux tiers des cas, le désordre était à petite échelle, conformément aux attentes, 21 % des cellules présentaient des coupes d’ADN de plus de 250 bases et pouvant atteindre jusqu’à 6.000 bases.
 
L’étude est tellement surprenante du point de vue des utilisateurs du CRISPR que dans un premier temps, Nature Biotechnology a refusé de publier l’article scientifique rendant compte des travaux. L’équipe a donc accepté de multiplier les vérifications et de réaliser de nouvelles expériences à la demande de la revue avant que celle-ci ne publie, un an après la première présentation de la recherche, le papier définitif.
 

L’édition génétique thérapeutique peut avoir de graves effets indésirables

 
L’un des auteurs de l’étude, Michael Kosicki, a expliqué leur démarche à resaearchgate.net : c’est par un heureux hasard que les chercheurs ont constaté un résultat inattendu lors d’une autre étude, donnée suffisamment importante pour qu’ils abandonnent leur recherche en cours au profit de la vérification des dommages causés par l’édition CRISPR. « Ce que nous avons découvert, ce sont des erreurs importantes : la perte de milliers de lettres d’ADN, des inversions, des réagencements complexes. Certaines sont assez compliquées à déceler avec des moyens habituels. Elles sont capables potentiellement d’affecter l’expression d’autres gènes », a-t-il commenté.
 
C’est en éditant des cellules au moyen du Cas9 à des endroits où personne ne le fait habituellement – les parties non-codante des gènes appelée « introns » – qu’ils ont constaté des répercussions totalement inattendues sur l’expression génétique. « Nous avons recalibré nos outils normaux, pour étendre notre champ de vision. Ce n’est qu’alors que nous avons pu voir que c’est la taille même des “erreurs” qui nous a empêché de les voir au départ », explique-t-il. En somme, les outils utilisés ne permettaient de voir que les petites aberrations, recherchées du reste puisque ce sont elles que la technique d’édition vise, mais ne permettaient pas de prendre en compte les grandes erreurs hors champ. Jusque-là, les signes incohérents observés lors de l’édition génétique étaient d’ailleurs attribués à des erreurs techniques.
 
Pour Michael Kosicki, l’urgence est maintenant de définir la gravité des lésions et leur inconvénient potentiel afin d’évaluer exactement le bénéfice-risque de thérapie utilisant le CRISP-Cas9.
 
On ne joue pas impunément aux apprentis sorciers en touchant au message-même de la vie !
 

Jeanne Smits