Cabinet noir et ligne rouge :
Hollande fait la morale, Fillon accusé de complotisme

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A l’Emission politique sur France 2, François Fillon a accusé le « cabinet noir » de François Hollande d’avoir lancé la campagne qu’il subit. En retour les médias lui font la morale : accusé de « complotisme », il a franchi la ligne rouge qui sépare du populisme.
 
Rappelons d’abord la situation politique objectivement incontestable d’il y a quelques mois : la gauche, minoritaire dans le pays, déchirée en factions, à la fois découragée et discréditée par un quinquennat désastreux ou au moins perçu comme tel et un Hollande unanimement décrié, ne devait pas, selon la plupart des observateurs, figurer au deuxième tour de la prochaine présidentielle. En conséquence, Fillon, après sa fulgurante percée lors de la primaire à droite, devint le grand favori de l’élection. Il lui suffisait d’aller au bout. La création ex nihilo d’Emmanuel Macron et les affaires Fillon ont changé la donne du tout au tout. Est-il illégitime et déraisonnable de se demander comment ces opérations ont été montées ?
 

Qui a dénoncé l’accusé Fillon ?

 
Ici même, depuis de nombreuses semaines, j’ai relevé le rôle important de médias tenus par de riches mondialistes (Drahi, Arnaud, Berger, Minc), et/ou par des amis de la gauche (le Canard, Médiapart d’Edwy Plennel) dans les deux opérations. J’y ai notamment rappelé, pour les lecteurs qui n’ont pas l’habitude de la tambouille journalistique, que le prétendu journalisme d’investigation n’existe (presque) pas, et que la plupart des informations qui font tomber les grands sont obligeamment fournies par d’autres grands par l’intermédiaire d’organes spécialisés, dont le Canard et Médiapart notamment.
 
Depuis le début l’affaire Fillon, avant de noter avec quelle célérité le parquet se lançait sur la piste du malheureux châtelain de la Sarthe, on a bien été forcé de constater que des informations par nature confidentielles tombaient sur la table des journalistes. Transmises par qui ? François Fillon a donné la réponse hier sur France 2 lors de l’Emission politique : par le pouvoir. Par l’Elysée lui-même.
 

Un livre écrit à l’encre rouge qui dénonce le cabinet noir ?

 
S’appuyant sur « les bonnes feuilles » de Bienvenue Place Beauvau, les secrets inavouables d’un quinquennat, publié par trois journalistes, Didier Hassoux, Christophe Labbé et Olivia Recasens, il a affirmé ceci : « C’est un livre qui, en 250 pages, explique que François Hollande fait remonter toutes les écoutes judiciaires qui l’intéressent à son bureau, ce qui est d’une illégalité totale, comment il est branché directement sur Bercy, sur Tracfin, sur les informations qui lui sont apportées en permanence, comment il est au courant des moindres faits, des moindres filatures, y compris concernant son ancien premier ministre Manuel Valls ». Et de conclure : « On cherchait un cabinet noir, on l’a trouvé, en tout cas, à travers ces allégations (…) Moi, ce soir, solennellement, je demande qu’il y ait une enquête ouverte sur les allégations qui sont portées dans ce livre, parce que c’est un scandale d’Etat ».
 

Des démentis dans la ligne Hollande

 
Evidemment, Hollande a dénoncé ces « allégations mensongères » dans la foulée, « avec la plus grande fermeté ». Ajoutant que, « sur les affaires particulièrement graves concernant François Fillon (…) le président de la République n’en a été informé que par la presse ». Pour l’Elysée, qui ne rate jamais une occasion de faire la morale, les propos de Fillon jettent un « trouble insupportable » dans la campagne présidentielle.
 
Plus beau encore, Didier Hassoux, l’un des co-auteurs de Bienvenue Place Beauvau, a « démenti » : « On n’a jamais écrit ça (…) La seule personne qui croit qu’il y a un cabinet noir à l’Elysée c’est François Fillon. Il y croit tellement que le 24 juin 2014 (…) il est allé voir Jean-Pierre Jouyet, qui est le numéro 2 de l’Elysée, pour lui demander d’activer ce cabinet noir. Ce cabinet noir n’existe pas ».
 

Un Fillon « aux abois » accusé de complotisme

 
Forts de ce double démenti, les grands médias n’ont pas manqué d’ironiser sur la légèreté des accusations portées par François Fillon contre Hollande, et même, c’est le cas du Huffington Post, sur son « complotisme » présumé. Empêtré, englué dans ses affaires, « aux abois »,  promis à disparaître de la présidentielle dès le premier tour, Fillon se livrerait à une fuite en avant sur les « thèmes de l’extrême droite ». Après une récente charge contre le « racisme anti-français » jugée borderline par la presse de gauche, il aurait cette fois franchi la ligne rouge entre républicains et populistes en parlant du cabinet noir de Hollande.
 

Hollande fait la morale, Fillon se fait des nœuds

 
Les apparences ne sont pas favorables à François Fillon. D’abord, lors de l’émission politique, il a dû encore une fois se livrer à un mea culpa à propos de costumes de luxe donnés par l’un des personnages les plus douteux des coulisses politiques. Ensuite, il a mal lu la fiche qu’on lui a donnée sur Bienvenue Place Beauvau. Les écoutes existent bien, et le système installé par Hollande. Mais pas sous la forme qu’il a dite, en tout cas l’intégralité des écoutes judiciaires qui intéressent Hollande ne finit pas sur son bureau, du moins cela ne figure-t-il pas noir sur blanc dans le bouquin cité. Hassoux peut sans mentir s’écrier « On n’a jamais écrit ça » !
 
Ensuite, Hassoux noie le poisson par une référence assassine à la démarche maladroite et déplacée qu’a faite Fillon en 2014 auprès du secrétaire général de l’Elysée, qui était son ami, pour faire activer la justice contre Sarkozy – démarche qui fait tache évidemment aujourd’hui que le même Fillon se plaint d’une justice qui sort de son calendrier pour l’assassiner politiquement.
 

Le livre établit ce que son auteur dément : le cabinet noir

 
Mais que François Hollande se soit servi de la police illégalement pour manipuler le jeu politique, ce n’est pas Fillon qui l’affirme à la légère, c’est Didier Hassoux, Christophe Labbé et Olivia Recasens qui le disent au terme d’une enquête qui a duré « plusieurs années ». Voici en effet ce qu’on peut en lire sur la présentation de l’éditeur de Bienvenue Place Beauvau qui pousse à sa vente sur le site d’Amazon : « La machine policière française est opaque et sclérosée. Hollande et ses ministres, faute de vouloir et de pouvoir la transformer en profondeur, ont tenté de s’en servir à des fins politiques. Pour qui veut contrôler les affaires, le ministère de l’Intérieur est en effet un lieu stratégique, grâce aux grandes oreilles des renseignements et aux yeux aguerris des flics en tous genres. Pourquoi la légalité est-elle si souvent bafouée chez ceux qui sont précisément censés faire régner l’ordre ? Le Président a-t-il un cabinet noir ? »
 

Fillon est mauvais comme un cochon mais il a raison

 
On doit donc tenir le « démenti » d’Hassoux pour un signe d’hostilité politique envers Fillon en qui il voit un homme de droite, et pour une marque de prudence visant à éviter d’éventuelles poursuites de Hollande contre le livre. Celui-ci établit en fait l’existence du cabinet noir dont son auteur nie tardivement l’existence après s’être complu pour un peu d’argent et de notoriété à le décrire. Il n’est d’ailleurs pas le premier. Chez notre très pondéré confrère le Figaro, Marion Mourgue rendait compte en avril 2016 d’une enquête menée par les journalistes Stéphanie Marteau et Aziz Zemouri, concluant à « l’existence d’un « cabinet noir » » à l’Elysée, au terme d’un « chapitre au titre sans ambiguïté : « Le cabinet noir ». La dispute d’aujourd’hui est donc sans objet, du point de vue des faits, et François Fillon a raison à la fois de dénoncer l’acharnement dont il est la victime et de réclamer l’ouverture d’une enquête.
 

La gauche morale oublie de défendre les libertés

 
Mais la question la plus intéressante n’est pas là, elle apparaît dans la réaction de la classe médiatique unanime contre Fillon. On la mesure particulièrement bien dans un détail un peu ridicule de l’émission politique. Fillon, toujours maladroit, se comparait en quelque sorte à Pierre Bérégovoy, sali par la presse lui aussi, ce qui l’aurait poussé selon la version officielle à se suicider. Et de dire : « J’ai compris pourquoi on pouvait être amené à cette extrémité ». C’était encore une fois nous la jouer geignard, deux semaines après avoir accusé à tort les médias d’avoir annoncé le suicide de Pénélope. En réponse, une furie, Christine Angot, qui n’est pas journaliste, mais qui se prend pour un écrivain et qui est pour cela invitée sur les plateaux, lui a fait la morale : « Vous savez ce que c’est le pompon de toute cette histoire ? C’est le coup de Bérégovoy que vous nous avez fait tout à l’heure, ça, ça passe pas ». Etrange posture : si, en tant qu’intellectuelle de service, elle tenait à dégager une morale de l’affaire, ce devrait être que n’importe qui se trouve maintenant à tout moment de sa vie sous la menace des grandes oreilles de la police, à toutes fins politiques utiles : cela, c’est un fait qu’une gauche éprise de justice et de liberté aurait pu dénoncer à bon droit.
 

Ligne rouge et diabolisation : à quoi sert le complotisme ?

 
Mais il est plus urgent de tuer le méchant Fillon pour promouvoir le gentil Macron. Et donc de l’installer dans la même zone morale qu’une Marine Le Pen et le populisme en général afin de l’y flinguer. Voilà donc Fillon accusé de complotisme aujourd’hui par l’Obs et le Huffington comme il avait été accusé de « braconner en eaux troubles » par Libération la semaine dernière pour avoir prononcé l’expression racisme anti-français, selon « une rhétorique chère au Front national », comme l’écrit l’Express. Bref, comme l’expliquait dans l’Obs l’historienne Valérie Igounet, « le candidat LR emprunte les mots de l’extrême droite ».
 
On voit par là à quoi sert l’esquisse de dédiabolisation partielle dont jouit Marine Le Pen : elle permet de mieux coller la vérole à François Fillon, et à quiconque se trouve employer des mots ou des thèmes propres à décrire la situation sociale actuelle. Or Fillon s’y trouve obligé puisqu’il lui faut séduire l’électorat droitier comme l’avait réussi Sarkozy en 2007.
 

Fillon, bouc chargé de tous les péchés de l’extrême droite

 
Il s’y trouve même plus fortement obligé puisque les campagnes de presse et ses propres maladresses l’ont mis dans une position difficile. C’est pour cela qu’il doit paraître dur, qu’il doit tenir des propos fermes, qu’il doit dénoncer l’origine de la campagne dont il est victime, qu’il doit désigner Hollande et donc franchir la ligne rouge qui sépare « l’acceptable » de « l’inacceptable ». Donc se trouver accusé de tous les péchés de l’extrême droite, dont celui de complotisme n’est pas le moindre. Reste à savoir si cela va lui nuire ou lui servir au contraire. Il faudrait être aujourd’hui sur les marchés et au zinc, et dans la tête de l’électorat populiste pour le savoir. Une chose est sûre, avec son cabinet noir, Hollande a réussi à semer la zizanie à droite : il pourrait bien aussi sauver la mise à la gauche grâce à Macron.
 

Pauline Mille