Coup d’Etat en Turquie : entre islamisme et laïcité

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Le coup d’Etat avorté en Turquie a eu un rôle de révélateur. On s’inquiète de la stabilité du pays et la communauté internationale s’est manifestée auprès du président Recep Tayyip Erdogan pour l’assurer de son soutien, ce qui ne manque pas de sel lorsqu’on sait qu’il est, fondamentalement, un islamiste en porte-à-faux avec une bonne partie de sa population – au moins sur ce chapitre. L’islamisme d’Erdogan se manifeste plus ou moins discrètement dans un pays dont la « laïcité » a toujours contenu un penchant préférentiel pour l’identité musulmane traditionnelle, en tout cas face aux autres religions présentes depuis bien plus longtemps dans ces contrées jadis civilisées à la mode grecque, terreau des premières Eglises chrétiennes.
 
Qui est à l’origine du coup d’Etat ? Erdogan a accusé un imam en exil aux Etats-Unis ; ce dernier voit plutôt le président turc comme étant à l’origine des troubles à son propre profit – mais tout cela est du domaine de la conjecture. Ce que l’on sait, c’est que l’armée, qui a joué un rôle dans le putsch à travers nombre de ses cadres, se considère historiquement comme garante de la « laïcité » à la mode de Kemal Atatürk, une laïcité radicalement liée à la maçonnerie.
 
De la part de Recep Erdogan, la réponse ne s’est pas fait attendre : dès dimanche soir, répondant aux « demandes » de ses partisans, il évoquait le rétablissement de la peine de mort pour les factieux, histoire de faire un exemple. Comment cela sera-t-il vu par l’Union européenne ?
 

Le coup d’Etat militaire : une vieille tradition en République turque

 
L’armée n’en est pas d’ailleurs à son premier coup d’Etat : devant la carence, la déliquescence du pouvoir, ou les querelles intestines, elle est déjà intervenue à quatre reprises. Lorsqu’elle est victorieuse, comme au début des années 1980, c’est elle alors qui finit par recueillir le soutien de la communauté internationale. Il faut dire que la Turquie, aux marches de l’Asie, si proche de l’Europe qu’une parcelle de son territoire en dépend, est avec sa force militaire considérable une nation pivot. Au jeu des alliances, elle apporte un poids qui rend son amitié désirable.
 
Avec ses quelque 900.000 hommes, l’armée turque est classée 10e parmi les forces armées les plus importantes au monde, parfaitement entraînée aux normes de l’OTAN, omniprésente dans les villes, investie depuis toujours – c’est-à-dire depuis sa création par Atatürk – d’un droit de regard sur la politique nationale et sur la sauvegarde de la nature républicaine du pouvoir.
 
Le coup d’Etat est intervenu au moment même où Erdogan fait mine de basculer d’une alliance avec les Américains et donc, peu ou prou, proche de l’islam sunnite, vers une entente avec la Russie et Bachar al-Assad, et donc, peu ou prou, de l’arc chiite qui traverse le Proche-Orient.
 

La laïcité de la Turquie compose avec l’islamisme d’Erdogan

 
Pendant des années, observe Mark Almond, historien d’Oxford spécialiste de la laïcité en Turquie, dans le Telegraph de Londres, Erdogan a promu l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, fort du soutien du Royaume-Uni. Depuis le Brexit, cette perspective s’éloigne – du moins selon certains commentateurs – et Erdogan s’est tourné aussitôt vers Vladimir Poutine, le maréchal Sisi et Benyamin Nétanyahou. Voilà trois hommes qu’il dénonçait comme assassins il y a peu de temps encore, et qui l’ont accueilli comme un vieil allié. A la veille du coup d’Etat, le Premier ministre d’Erdogan évoquait même la possibilité de raviver les relations avec la Syrie.
 
Dans le même temps, les relations avec les Etats-Unis se sont détériorées : au lendemain du coup d’Etat, de par la volonté du pouvoir vite rétabli, la Turquie a empêché les aéronefs américains de mener des opérations contre l’État islamique en Syrie en passant par l’espace aérien dont on venait d’interdire le survol.
 

Un coup d’Etat au moment où Erdogan fait basculer ses alliances

 
Erdogan lui-même est un sunnite orthodoxe : il voit d’un mauvais œil le rétablissement des relations et la forme des sanctions imposées par les Etats-Unis à l’Iran. C’est ce qui lui donne de la force de conviction auprès d’Israël qui est justement menacé par l’arc chiite. En même temps, en se rapprochant avec Poutine, il laisse prévoir un coup d’arrêt à la lutte contre les troupes de Bachar el-Hassad, au grand dam des Etats-Unis qui prétendent à la fois combattre l’État islamique et le pouvoir en place en Syrie.
 
Comme Poutine, Recep Tayyip Erdogan est en position de souffler le chaud et le froid dans la région, et il compte bien en profiter. Sorti victorieux de la tentative de déstabilisation dont il a fait l’objet, il peut poursuivre sa politique avec la satisfaction de voir le monde occidental inquiet devant ses initiatives et prêt à composer ; tout comme on compose, finalement, avec Poutine.
 
Sans doute est-ce tout cela que l’armée a voulu rejeter. Le coup d’Etat turc n’était pas seulement une affaire interne.
 

Anne Dolhein