Le pape François donne une conférence TED.
Traduction intégrale, rectifiée et commentée

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Dans son message vidéo aux participants de la conférence TED, le pape François appelle à faire de la multitude de «toi» un «nous» de solidarité et de fraternité.

 
Le pape François vient de participer au cycle de conférences TED en adressant un message de plus d’un quart d’heure sur l’avenir et la « révolution de la tendresse » à ce think tank participatif. Son allocution, traduite en 22 langues, a été mise en ligne ce mercredi avec autant de possibilités de sous-titres, pas forcément très exacts comme on a pu le constater pour ce qui est du français. Un premier point frappe. Les paroles du pape forment un message vaguement chrétien, où la bienfaisance prend le pas sur l’adhésion au Christ. Certes, il s’adresse à un auditoire forcément disparate, probablement non croyant. Mais il est difficile dans ces conditions d’éviter l’écueil de la philosophie de patronage.
 
Les conférences TED Technology, Entertainment and Design, s’intéressent à tous les domaines, avec l’objectif affiché de « répandre des idées » en vue de « changer les attitudes, les vies et finalement, le monde ». TED appartient à une « fondation à but non lucratif et non partisane » mais très prompte à publier les idées dans le vent : syncrétisme religieux, droits LGBT, lutte contre le changement climatique…
 

Le pape François se met au niveau du monde pour parler de « tendresse »

 
Les philanthropes du monde entier y trouvent une tribune non confessionnelle où toutes les idées à la mode peuvent s’exprimer, prétendument pour le bien de l’humanité. On y fait la promotion de l’innovation technologique et de la science, de l’accueil des immigrés et du développement personnel. C’est la grande foire à tout où l’on apprend la science du bonheur et la manière de tenir son souffle pendant 17 minutes, la créativité ou la manière de débusquer un menteur – et n’oublions pas la pleine conscience, cette porte moderne vers les spiritualités orientales.
 
Sans doute faut-il tout évangéliser. Mais dans le cas du pape François, la conférence pontificale ne parle pas de conversion, de sanctification et de bonheur éternel, mais de construire le bonheur ici-bas.
 
Pour que vous puissiez juger sur pièces, voici l’ensemble de son discours, dont les erreurs de traduction ont été expurgées par nos soins. Les chiffres renvoient aux minutes et aux secondes de l’enregistrement. Il laisse une impression de creux, même si le texte comporte des indications justes. Il parle de s’abaisser par tendresse, alors que Dieu, à travers son Fils, nous élève, nous purifie, nous adopte comme ses propres enfants. – J.S.
 

Traduction intégrale et rectifiée de la conférence TED du pape François

 
[Sa Sainteté le pape François filmé à la cité du Vatican Diffusé pour la première fois à TED2017] Bonsoir – ou bonjour, je ne suis pas certain de l’heure qu’il est chez vous. Quelle que soit l’heure, je suis ravi de participer à votre conférence. J’aime beaucoup le titre – « The future you » – car, tout en regardant vers demain, il invite dès aujourd’hui à un dialogue ouvert, à regarder l’avenir à travers toi. « Le futur Toi » : l’avenir est fait des « toi », de rencontres, car la vie n’existe que dans nos relations avec les autres. Mes quelques années de vie ont renforcé ma conviction que notre existence à tous est profondément liée à celle des autres : la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontres.
 
1:27 Quand je rencontre ou écoute ceux qui sont malades, les migrants qui affrontent d’incroyables difficultés à la recherche d’un meilleur avenir, les prisonniers qui portent l’enfer au fond de leur cœur et ceux, surtout les jeunes, qui ne trouvent pas de travail, je me retrouve souvent à me demander : pourquoi eux et pas moi ? Moi-même, je suis né dans une famille de migrants ; mon père, mes grands-parents, comme beaucoup d’autres Italiens, sont partis en Argentine et ont connu le destin de ceux qui ont tout quitté. J’aurais très bien pu devenir moi aussi un « déchet » d’aujourd’hui. C’est pourquoi je m’interroge encore au plus profond de moi : pourquoi eux et pas moi ?
 
2:35 Avant toute chose, j’aimerais que votre événement nous rappelle à tous que nous avons besoin les uns des autres. Aucun de nous n’est une île, un « moi » autonome et indépendant par rapport à autrui. Nous ne construirons l’avenir qu’en étant ensemble, en n’excluant personne. Nous n’y réfléchissons pas souvent, mais en réalité, tout est lié, nous devons rétablir des connexions saines entre nous. Même le jugement sévère que j’ai en moi envers mon frère et ma sœur, cette cicatrice jamais refermée, cette offense jamais pardonnée, cette rancœur qui pourra seulement me faire souffrir, tout cela, c’est une guerre que je porte en moi, une flamme au fond de mon cœur qui doit être éteinte avant qu’elle ne s’embrase et ne laisse que des cendres.
 
3:38 De nos jours, beaucoup d’entre nous, pour des raisons diverses, semblent croire qu’il sera impossible d’avoir un avenir heureux. Il faut prendre ces peurs très au sérieux, mais elles ne sont pas invincibles. Nous les dépasserons si nous ne nous refermons pas sur nous-mêmes. Parce qu’on ne fait l’expérience du bonheur qu’en tant que don de l’harmonie de chaque élément avec le tout. Même les sciences – et vous le savez mieux que moi – nous suggèrent aujourd’hui une manière de comprendre la réalité où chaque chose existe en lien, dans l’interaction continue avec les autres.
 

Le pape François appelle à la solidarité horizontale

 
4:27 Ceci m’amène à mon second message. Comme ce serait merveilleux si à la croissance de l’innovation scientifique et technologique correspondait davantage d’équité et d’inclusion sociale ! Comme ce serait merveilleux, de même qu’on découvre de nouvelles planètes lointaines, de redécouvrir les besoins de nos frères et sœurs qui sont en orbite autour de nous ! Comme ce serait merveilleux si la solidarité, mot magnifique, et parfois dérangeant, n’était pas réduite au travail social et devenait, au contraire, l’attitude naturelle dans les choix politiques, économiques et scientifiques et dans les relations entre les personnes, entre les peuples, entre les pays. Ce n’est qu’en éduquant les gens à une solidarité, une solidarité concrète, que nous serons capables de dépasser cette « culture du déchet » qui ne s’applique pas seulement à la nourriture et aux biens, mais d’abord et surtout aux hommes qui sont marginalisés par nos systèmes techno-économiques, lesquels, sans même s’en rendre compte, placent les marchandises au centre de tout au lieu d’y placer les hommes.
 
6:08 La solidarité est un mot que beaucoup souhaitent effacer des dictionnaires. La solidarité, cependant, n’est pas mécanisme automatique, on ne peut ni la programmer, ni la contrôler. Elle est une réponse libre qui naît du cœur de chacun. Oui, une réponse libre ! Quand on se rend compte que sa propre vie, même au milieu de tant de contradictions, est un don, que l’amour est la source et le sens de la vie, comment peut-on réprimer cette envie de faire le bien à autrui ? Pour faire le bien, il faut de la mémoire, il faut du courage, il faut de la créativité. Et je sais bien que TED réunit beaucoup d’esprits créatifs. Oui, l’amour requiert une réponse créative, concrète et ingénieuse. Les bonnes intentions et les formules convenues, qui si souvent ne servent qu’à apaiser notre conscience, ne suffisent pas. Aidons-nous les uns les autres à nous rappeler que l’autre n’est ni une statistique, ni un nombre. L’autre a un visage. Le « toi » est toujours un visage concret, un frère dont il faut prendre soin.
 
7:52 Jésus a raconté une parabole pour nous aider à comprendre la différence entre ceux qui prennent soin d’autrui et ceux qui ne s’en préoccupent pas. Probablement, vous en avez entendu parler. C’est celle du Bon Samaritain. Quand on demanda à Jésus : « Qui est mon prochain ? » en clair, « De qui dois-je m’occuper ? », il raconta cette histoire, celle d’un homme que des bandits avaient attaqué, dépouillé, battu à mort et abandonné dans le fossé. Un prêtre et un Lévite, deux personnes respectables à l’époque, le virent ainsi mais passèrent devant lui sans s’arrêter. Peu de temps après, un Samaritain, qui appartenait à une ethnie très méprisée à cette époque, passa aussi. En voyant l’homme blessé à terre, il ne s’éloigna pas comme les deux autres, comme s’il ne s’était rien passé. Au contraire, il éprouva de la compassion, ce qui le poussa à agir de manière très concrète. Il répandit de l’huile et du vin sur les blessures de l’homme, l’amena dans une auberge et paya de sa poche toute l’assistance nécessaire.
 
9:26 L’histoire du Bon Samaritain est l’histoire de l’humanité actuelle. La voie des hommes est pavée de blessures car tout est centré sur l’argent, les possessions et non sur les hommes. Les gens qui se disent respectables ont souvent l’habitude de ne pas s’occuper des autres, laissant des milliers de personnes, des peuples entiers, abandonnés sur le bord de la route. Heureusement, il y a aussi ceux qui créent un monde nouveau en prenant soin des autres, même de leur propre poche. Mère Teresa disait : « On ne peut aimer, si ce n’est à ses propres dépens ».
 
10:26 Nous avons tant à accomplir, nous devons le faire ensemble. Mais comment faire, avec tout le mal que nous respirons ? Grâce à Dieu, aucun système ne peut annihiler notre désir de nous ouvrir au bien, à la compassion, ni notre capacité à réagir face au mal ; tout cela vient du plus profond de notre cœur. Vous pourriez me dire : « Ce sont de belles paroles, mais je ne suis pas le Bon Samaritain, et encore moins Mère Teresa de Calcutta ». Au contraire, chacun d’entre nous est précieux. Chacun d’entre nous est irremplaçable aux yeux de Dieu. Dans les ténèbres des conflits actuels que nous traversons, chacun d’entre nous peut devenir un cierge éblouissant, rappelant que la lumière peut vaincre les ténèbres, et jamais l’inverse.
 

TED et l’Espérance… de jours meilleurs

 
11:27 Pour les Chrétiens, l’avenir a un nom, et ce nom est l’Espérance. Espérer ne veut pas dire être un optimiste naïf et ignorer la tragédie du mal que vit l’humanité. L’Espérance est la vertu d’un cœur qui ne s’enferme pas dans les ténèbres, qui ne demeure pas dans le passé, qui ne fait pas que vivoter dans le présent, mais qui est capable de voir des lendemains. L’Espérance est la porte ouverte sur l’avenir. L’Espérance est une graine de vie, cachée, humble, qui, avec le temps, deviendra un arbre immense. Elle est comme un levain invisible qui permet à toute la pâte de lever, qui donne du goût à tous les aspects de la vie. Elle peut accomplir tant de choses, car une petite lueur vacillante qui se nourrit d’espérance suffit à détruire le bouclier des ténèbres. Un seul homme suffit à faire vivre l’espérance et cet homme peut être toi. Ensuite, il y aura un autre toi, et encore un autre toi, jusqu’à ce que nous devenions « nous ». Est-ce que l’espérance commence quand nous sommes un « nous » ? Non. Elle a commencé avec toi. Quand il y a un « nous », c’est une révolution qui commence.
 

Plusieurs « Toi » qui espèrent ? Un nous qui est une « révolution qui commence »

 
13:16 Le troisième message que je voudrais partager avec vous aujourd’hui parle en fait de révolution : la révolution de la tendresse. Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se fait voisin, qui se fait concret. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles et aux mains. La tendresse nous demande de nous servir de nos yeux pour voir l’autre, de nos oreilles pour l’écouter, pour écouter les enfants, les pauvres, ceux qui ont peur de l’avenir ; pour entendre le cri silencieux de notre maison commune, notre Terre polluée et malade. La tendresse veut dire nous servir de nos mains et de notre cœur pour caresser l’autre, pour prendre soin de lui.
 
14:13 La tendresse est le langage des jeunes enfants, de ceux qui ont besoin de l’autre. L’amour d’un enfant pour son père et sa mère grandit grâce au toucher, au regard, à la voix, à la tendresse. Il me plaît d’écouter des parents parler à leur bébé, quand ils se font eux-mêmes enfants, parlant comme lui. C’est ça la tendresse : s’abaisser au niveau de l’autre. Dieu s’est abaissé en Jésus pour être à notre niveau. C’est le chemin que le Bon Samaritain a suivi. C’est le chemin que Jésus lui-même a pris. Il s’est abaissé, il a traversé toute la vie de l’homme avec un langage concret : l’amour.
 
15:23 Oui, la tendresse est le chemin à suivre par les hommes et les femmes les plus forts et les plus courageux. La tendresse n’est pas une faiblesse mais une force. C’est le chemin de la solidarité, le chemin de l’humilité. Permettez-moi de le clamer haut et fort : plus vous êtes puissant, plus vos actions auront des conséquences sur les hommes, plus vous devrez agir avec humilité. Si vous ne le faites pas, votre pouvoir vous détruira, vous, mais aussi l’autre. Il y a un proverbe en Argentine : « Le pouvoir agit sur l’homme comme le gin sur un estomac vide ». La tête vous tourne, vous êtes saoul, vous perdez l’équilibre et vous finissez par vous faire mal et faire mal aux autres, si vous ne reliez pas votre pouvoir à l’humilité et à la tendresse. A l’inverse, grâce à l’humilité et à l’amour authentique, le pouvoir – le plus noble, le plus fort – se met au service du bien.
 
16:52 L’avenir de l’humanité n’est pas seulement entre les mains des hommes politiques, des grands dirigeants, des grandes sociétés. Certes, ils possèdent une immense responsabilité. Mais l’avenir, avant tout, est entre les mains des personnes qui reconnaissent l’autre comme un « tu », et eux-mêmes comme faisant partie d’un « nous ». Nous avons tous besoin les uns des autres. Et je vous prie de me voir, moi aussi, avec tendresse, afin que je puisse accomplir la tâche que l’on m’a confiée pour le bien d’autrui, pour le bien de chacun, de vous tous, de nous tous. Merci.