Colonisation : Shashi Tharoor veut faire reconnaître au Royaume-Uni sa dette envers l’Inde

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Ce débat sur la colonisation, organisé par l’université d’Oxford, date du mois de mai et aurait pu rester lettre morte sans la prodigieuse caisse de résonance que lui ont donné les réseaux sociaux. L’un des discours a été vu, en effet, plus d’un million de fois sur YouTube en une semaine : c’est celui d’un ancien secrétaire général adjoint à l’ONU, aujourd’hui élu du Parti du Congrès au Parlement indien, Shashi Tharoor. En une quinzaine de minutes, il a esquissé un résumé désastreux des « méfaits » de la domination anglaise doublement centenaire sur l’Inde et a demandé au Royaume Uni une reconnaissance de sa dette.
 
Chez les Indiens, la vidéo est devenu virale.
 

« L’Inde a été pillée par le Royaume-Uni » Shashi Tharoor

 
Le plus étonnant est que le débat n’était pas de ceux, français, où le mea culpa est seul de mise. D’autres personnalités intervenaient, comme l’ancien député conservateur Sir Richard Ottaway qui s’est dressé contre toute idée de réparation. Le cocktail proposé pour la soirée avait même fait polémique : il était intitulé « the colonial comeback », avec en illustration, deux mains à la peau foncée, entourées de chaînes…
 
Mais le discours de Shashi Tharoor l’a médiatiquement emporté.
 
En un quart d’heure, il a balayé les sujets classiques, citant les poncifs. « La Grande-Bretagne a gouverné le pays pour son propre bénéfice et sa montée depuis 200 ans a été financé par le pillage de l’Inde (…) Nous avons littéralement payé pour notre propre oppression ».
 
La révolution industrielle de la Grande-Bretagne ne s’est construite que sur la désindustrialisation de l’Inde : le démantèlement de sa manufacture et l’exportation de ses matières premières (soieries et mousselines) vers le Royaume-Uni. Les populations n’ont jamais suscité l’intérêt des Anglais : les famines se sont multipliées – il cite la Grande Famine du Bengale de 1943 aux quatre millions de morts. Et quand opposition il y avait, massacre suivait : de rappeler le massacre d’Amritsar, en 1919, où les soldats indiens tirèrent sur des centaines de suiveurs de Ghandi.
 
Les chemins de fer, les routes ? Uniquement construits pour servir les Britanniques qui n’investirent que pour mieux retrouver leurs billes. Aux deux guerres mondiales, l’Inde a donné un tribut plus élevé que d’autres, tout à la fois, en hommes, en espèces et en aides matérielles – pour Shashi Tharoor, la Grande-Bretagne doit toujours au pays 1,25 milliard de livres sur ce simple sujet.
 

« Ce qui est nécessaire, il me semble, est d’accepter le principe que les réparations sont dues »

 
Mensonge et racisme, violence et pillage… Shashi Tharoor n’y est pas allé de main morte. Il a regardé comme négligeable l’aide anglaise toujours d’actualité qui participe pour 0,4 % du PIB de l’Inde – drôle pour une nation qui a priori dépassera dès 2019, le Royaume-Uni, dans le classement des économies mondiales… Ce qui compte pour lui, c’est le principe de l’expiation : « que le Royaume-Uni reconnaisse le mal qui été commis. » Il se satisferait d’une livre symbolique par an pour les deux cent prochaines années…
 
Même le Premier ministre indien, Narendra Modi, a fait l’éloge de ce discours. Le succès de cette vidéo a montré, selon lui, « la profondeur des sentiments de l’Indien »… bien plutôt, la réalité de ce mouvement mondial qui veut fixer l’histoire de la colonisation par les vieilles puissances occidentales, dans un certain et unique sens.
 

Renier la colonisation… en particulier son apport religieux : le christianisme

 
Il s’en est trouvé pour lui répondre sur le fond : en lui opposant précisément ces chemins de fer, ces routes, tout ce système d’irrigation dont profite aujourd’hui, fondamentalement, l’Inde, et même son jeune et prometteur Programme spatial… Tout cela serait-ce arrivé et si vite, si l’Empire Britannique n’avait imposé sa science et sa connaissance pendant deux siècles ?
 
On peut, certes, trouver à redire, sur le système « colonisateur » anglais… Mais l’Inde ne peut nier qu’elle ne serait pas le pays qu’elle est aujourd’hui, sans l’apport européen : il y a eu un bénéfice culturel, politique et économique.
 
Le discours de Shashi Tharoor souscrit, lui, à l’idéologie dominante. La colonisation était un mal en soi. La culpabilisation, ce faux travail de mémoire, permet d’asservir les anciennes puissances, au niveau international. Il permet, au niveau national, de faire remettre en cause voire de nier un certain nombre d’héritages. Si l’Inde ne s’est pas mise à détruire ses chemins de fer parce qu’ils étaient anglais, elle s’attaque sans états d’âme à un autre fruit de la colonisation : la religion et plus particulièrement le christianisme.
 
Shashi Tharoor le dit lui-même : « Des problèmes persistent en Inde aujourd’hui, comme les tensions ethniques et religieuses, qui sont également le produit de la colonisation ». Les chrétiens, au nombre de 24 millions aujourd’hui, sont la cible de plus en plus d’attaques. Viols, reconversions forcées, arrestations… La République Laïque peine à porter son nom, depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre nationaliste hindou, Narendra Modi, en mai 2014. D’aucuns aspirent à un État religieux hindou. Et ce triomphe, ce retour du paganisme imposé rentrerait parfaitement dans les schémas mondiaux.
 

Clémentine Jallais