
Lors de leur rĂ©ception de mariage Ă Palm Beach le 22 janvier 2005, Donald et Melania Trump recevaient tout sourire Hillary et Bill Clinton. Blanc bonnet et bonnet blanc ?
Le parti rĂ©publicain subit, en plus aigu, le mĂŞme dilemme que le peuple des Etats-Unis : vaut-il mieux voter Trump, avec les dĂ©fauts qu’on lui connaĂ®t, ou laisser passer Hillary Clinton, dont on a pu mesurer la nocivitĂ© en tant que secrĂ©taire d’Etat ? La question ne met pas seulement en lumière la personnalitĂ© de Donald Trump, mais les divisions du parti rĂ©publicain. Et elle se pose de manière semblable en France avec le FN.
« Never Trump ». Jamais Trump. C’Ă©tait le cri de guerre de la classe politique amĂ©ricaine dans son ensemble, des mĂ©dias, de l’immense majoritĂ© des chefs du parti rĂ©publicain. C’Ă©tait aussi une quasi-certitude. Des comitĂ©s rassemblaient des fonds, des pontes du grand old party se rĂ©unissaient, des alliances se dessinaient en vue d’une convention nĂ©gociĂ©e, tout ce qui s’occupe de politique aux Etats-Unis en Ă©tait sĂ»r, jamais Trump ne serait choisi par le parti rĂ©publicain pour concourir Ă la prĂ©sidentielle de novembre 2017. Ici mĂŞme, malgrĂ© ses premières victoires j’ai soulignĂ© les difficultĂ©s qui attendaient un candidat partiellement hors système. Aujourd’hui encore, le système le mĂ©prise. Il sera le candidat rĂ©publicain, mais une partie du parti rĂ©publicain refuse de se rallier Ă lui, et les DĂ©mocrates, en particulier les intellectuels, affectent de le tenir pour quantitĂ© nĂ©gligeable. Il est significatif qu’un Woody Allen, sur le dĂ©part pour le Festival de Cannes, ait prit la peine d’affirmer que « Trump n’a(vait) pas la moindre chance ».
Trump, républicain gay-friendly ?
Ce qui suscite Ă gauche le mĂ©pris, la haine, la peur de Trump, bref, ce qui provoque la phobie anti-Trump, c’est prĂ©cisĂ©ment le cĂ´tĂ© libre du bonhomme, ses dĂ©clarations Ă l’emporte-pièce qui sĂ©duisent l’Ă©lecteur de base, le courage de dire ce qu’il pense sur l’immigration accablante, sur le danger islamique, sa richesse qui le rend indĂ©pendant des lobbies, etc… Bref, une apparence de populisme toujours suspecte aux yeux des Ă©lites infectĂ©es par le mondialisme. L’Ă©tablissement du parti rĂ©publicain n’aime pas cela plus que les intellectuels radicaux de la cĂ´te Est, et c’est lui qui met des bâtons dans les roues de Trump depuis le dĂ©but des primaires.
Mais il y a aussi de vĂ©ritables conservateurs qui s’inquiètent des dĂ©gâts que pourrait faire Trump au parti rĂ©publicain et aux Etats-Unis. Ceux qui ont notĂ© des intentions pas très rĂ©flĂ©chies en politique Ă©trangère, ceux qui dĂ©plorent l’approbation qu’il a donnĂ©e Ă Obama et Hillary Clinton, ou plus encore ses positions fluctuantes, opportunistes, sur l’avortement ou « l’union » des homosexuels. Voici quelques jours, Gregory T. Angelo, porte parole d’un groupe pro gay a dĂ©clarĂ© : « Donald Trump sera le plus gay-friendly des prĂ©sidents rĂ©publicains. »
La peste avérée Clinton et la choléra prévisible Trump
En matière Ă©conomique, le candidat rĂ©publicain n’est pas plus fiable. L’une des convictions fondamentales de son Ă©lectorat tient aux impĂ´ts : les DĂ©mocrates les augmentent, les RĂ©publicains doivent les diminuer. C’Ă©tait jusqu’Ă cette semaine la base de son programme. Mais dimanche dernier, dans la grande Ă©mission politique de la chaĂ®ne ABC « This Week », il a rĂ©vĂ©lĂ© qu’il allait « nĂ©gocier avec les DĂ©mocrates » et qu’Ă l’issue de ces nĂ©gociations les « impĂ´ts des gens qui gagnent bien leur vie allaient augmenter ». Il a justifiĂ© cette tĂŞte-Ă -queue spectaculaire en disant qu’il fallait « voir ce qui est possible » et « nĂ©gocier ».
Il en va de mĂŞme pour les salaires, le salaires minimum en particulier. En novembre dernier, lors d’un dĂ©bat avec son concurrent Ted Cruz, Trump estimait que « tout Ă©tait trop haut, les impĂ´ts, les salaires » et que cela affectait la compĂ©titivitĂ©, donc l’emploi. Il se prononçait donc catĂ©goriquement contre toute augmentation du salaire minimum. Aujourd’hui, il est pour, il « va voir cela », il « n’est pas comme les autres RĂ©publicains ».
Les Etats-Unis au bord du suicide
Bref, il apparaĂ®t aux yeux de la part conservatrice du parti rĂ©publicain comme un opportuniste dĂ©magogue sans convictions, ou dont certaines convictions sont dangereuses. Certains sont tentĂ©s de s’abstenir ou de joindre leur voix Ă la gauche du parti rĂ©publicain et aux DĂ©mocrates, qui le tiennent pour un dangereux populiste, afin de laisser la main Ă Hillary Clinton. Leur argument est qu’il vaut mieux sauver le parti, son unitĂ©, sa cohĂ©rence doctrinale et son image, quitte Ă faire le gros dos pendant quatre ans : après tout, après la pluie, le beau temps, Ronald Reagan a succĂ©dĂ© Ă Carter.
D’autres jugent cette stratĂ©gie suicidaire. D’abord parce qu’en matière de sĂ©curitĂ© militaire et de politique Ă©trangère, qui sont les principales fonctions rĂ©galiennes du prĂ©sident des Etats-Unis, Reagan n’a pas pu rattraper toutes les fautes de Carter, en Iran notamment, oĂą le DĂ©mocrate trilatĂ©raliste a installĂ© durablement le rĂ©gime des mollahs. Ensuite parce que la pluie peut durer huit ans au lieu de quatre, comme ç’a Ă©tĂ© le cas pour Barack Obama. Et que le parti rĂ©publicain a montrĂ© pendant ce laps de temps qu’il Ă©tait divisĂ© tant sur l’Ă©conomie que sur les questions de sociĂ©tĂ©, incapable, malgrĂ© sa majoritĂ© au Congrès, de s’opposer efficacement au prĂ©sident dĂ©mocrate, tant sur la rĂ©gularisation des clandestins que sur l’Obamacare ou la promotion du mariage gay.
Les Clinton et les Trump : image du bonheur aux Etats-Unis
Sans doute la personnalitĂ© ni les dĂ©clarations de Trump ne laissent-elles prĂ©sager rien de très bon, mais l’action d’Hillary Clinton quand elle Ă©tait secrĂ©taire d’Etat promet, elle, une catastrophe explicite. C’est elle qui a lancĂ© les printemps arabes, dĂ©stabilisĂ© un temps l’Egypte, mis le feu Ă la Syrie et Ă la Libye, contribuĂ©, peut-ĂŞtre plus encore qu’Obama, Ă la naissance et Ă la croissance de Daech. D’oĂą le dilemme pour le parti rĂ©publicain et pour le peuple amĂ©ricain : faut-il choisir la peste avĂ©rĂ©e Clinton ou le cholĂ©ra prĂ©visible Trump ?
Certains sont tentĂ©s de faire confiance Ă la personnalitĂ© flamboyante du magnat pour s’affranchir du système. Cela paraĂ®t naĂŻf, si l’on considère la façon dont il commence, une fois la primaire quasiment acquise, Ă mettre de l’eau dans son vin afin de paraĂ®tre plus politiquement correct, et si l’on se souvient qu’il a financĂ© massivement les Clinton mari et femme. Une photo people, Ă un mariage, montre d’ailleurs le couple Trump et le couple Clinton, souriants, Ă©panouis : Trump fait partie incontestablement de l’Etablissement qu’il dĂ©nigre.
Parallèle Trump – FN
Je serais tentĂ©e d’Ă©tablir une comparaison entre son irrĂ©sistible ascension et celle du Front national de la famille Le Pen. Donald Trump a la faconde, la stature physique, le cheveu teint que le père arborait dans les annĂ©es quatre-vingt ; et il a la stature intellectuelle, le flou doctrinal, les convictions variables et modernisantes de la fille. On peut penser que le système, parfaitement au courant des mĂ©contentements et des rĂ©actions que la rĂ©volution qu’il mène suscite, s’arrange pour prendre la maĂ®trise des candidats alternatifs que la fureur populaire engendre. Avec leur sincĂ©ritĂ© Ă©ventuelle ils captent cette colère et la mettent au service d’un mouvement que le système peut utiliser dans le cadre d’un plan b, comme une sorte de roue de secours pour empĂŞcher l’explosion sociale. Le premier front national n’Ă©tait pas adaptĂ© Ă cette stratĂ©gie de secours, il est donc l’objet d’un grand remplacement systĂ©matique de ses cadres, symbolisĂ©e par l’Ă©viction de Jean Marie Le Pen. Gollnisch et Arnautu en sont les dernières victimes.
Un dilemme insoluble
Cela demande de la part du système une gestion prĂ©cise de ses relations avec les dĂ©magogues (id est, Ă proprement parler, conducteurs de peuples), dans le cadre de ce qu’on a coutume de nommer la diabolisation. Un Jean-Marie Le Pen Ă©tait l’objet d’une diabolisation majeure qui lui interdisait l’accès Ă toute fonction d’autoritĂ©, ne lui laissant qu’une puissance tribunitienne tronquĂ©e. Bien « mieux » entourĂ©e et mallĂ©able, une Marine, elle, peut aller plus loin en cas de besoin, elle est donc l’objet d’une diabolisation mineure qui pourra ĂŞtre levĂ©e si nĂ©cessaire. De mĂŞme pour Trump. Celui-ci a d’ailleurs notĂ© les milliards en publicitĂ© gratuite que les mĂ©dias hostiles lui octroient de fait. Leur agressivitĂ©, rĂ©elle et dominante, n’en recouvre pas moins une sorte de complicitĂ©. C’est pourquoi le dilemme du parti rĂ©publicain et du peuple des Etats-Unis est insoluble : pile, avec Clinton, ils courrent Ă la catastrophe, face, avec Trump, ils n’arrĂŞtent pas leur marche vers la catastrophe.
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