La Fed remet à plus tard sa hausse des taux : l’économie mondiale est trop fragile

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L’effondrement des bourses chinoises a poussé Janet Yellen, présidente de la banque centrale américaine, à décider jeudi de remettre à plus tard la remontée des taux de la Fed qui stagnent à 0, ou au maximum 0,25 % depuis 2008. Les financiers du monde entier avaient les yeux rivés sur Washington où le Federal Open Market Committee (FOMC), douze personnes non élues issues du bureau des gouverneurs de la Fed à qui s’ajoutent le président de la Fed de New York et, par rotation, des présidents des onze autres banques de réserve fédérale américaines. A eux de se concerter, huit fois par an, pour savoir à quelle sauce l’économie mondiale sera mangée. L’économie mondiale, fragilisée par la crise chinoise, n’aurait pas supporté le choc.
 
C’est en tout cas ce qu’a expliqué Janet Yellen lors de sa conférence de presse à l’issue de la réunion : « Des inquiétudes plus vives concernant la croissance en Chine et dans d’autres marchés émergents ont conduit à une volatilité sur les marchés financiers. »
 
De quoi ont-ils donc eu peur, pour remettre à plus tard – à décembre ou janvier, dit-on – une mesure finalement peu spectaculaire, puisque l’on envisageait une hausse des taux d’un dixième ou d’un quart de pourcent tout au plus ? Pour le consommateur moyen, la variation de ses remboursements serait minime. Pour l’économie mondiale, il n’en va pas de même puisque les pays endettés en dollars seraient affectés à une tout autre échelle. Et à terme, l’expérience montre que les mesures haussières tendent à se suivre : on parle de remontées successives qui pourraient atteindre les 5 % en quelques années. Cela fait beaucoup, pour une économie dopée à l’argent facile.
 

La Fed tient compte de la volatilité chinoise pour remettre à plus tard sa hausse des taux

 
La « volatilité » chinoise, « les perspectives à l’étranger » qui semblent « être devenues plus incertaines récemment » dans un contexte de dollar un peu plus fort et d’une baisse des matières premières, a souligné Janet Yellen. Autant d’indicateurs d’une « inflation basse » – et d’un manque concomitant de croissance que la hausse des taux pourrait rendre plus durable.
 
En dehors de ces facteurs, les Etats-Unis ou plus exactement sa Banque fédérale étaient prêts à courir le risque d’une hausse des taux : « la fin de l’argent gratuit » car on peut, de fait, le créer ex nihilo et le prêter ensuite pour rien.
 
Ce qu’il y a de nouveau, en réalité, c’est le risque encouru non tant par les Etats-Unis, mais par les pays émergents, la Chine en tête. Leurs économies ont été soutenues à bout de bras par des emprunts massifs : une dette exprimée le plus souvent en dollars que la hausse des taux de la Fed rendra automatiquement plus onéreuse. Une charge dont la lourdeur risque d’être immense, même si le pourcentage reste plus que raisonnable.
 

L’économie mondiale est fragile. Pas les Etats-Unis ?

 
En effet, si l’on suit les calculs de la Bank for International Settlements (BIS) basée en Suisse, le taux des dettes rapportées aux produits intérieurs bruts est actuellement à un taux extrêmement élevé : plus élevé même qu’en 2007, juste avant la grande récession. Un communiqué de la banque précise de manière sibylline : « Nous ne voyons pas seulement des tremblements isolés [sur les marchés monétaires] mais le relâchement d’une pression qui s’est lentement accumulée au fils des sur les grandes lignes de faille. »
 
Façon élégante de dire que tout pourrait bien exploser.
 
Parmi les pays développés – Japon, France, Allemagne, Canada, Royaume-Uni, Etats-Unis… – des années de sauvetages divers et de mesures pour réduire la dette l’ont fait progresser de plus d’un tiers en sept ans. Dans les pays émergents – les BRICS, la Corée du Sud, le Mexique, l’Indonésie, la Turquie, l’Arabie Saoudite – elle a augmenté de moitié. Le scénario idéal pour une crise financière majeure, ainsi que le note sobrement la BIS en comparant la situation actuelle avec des niveaux d’accélération semblable par le passé.
 
Les atermoiements de la Fed – en eux-mêmes facteurs d’instabilité – pourraient bien se résumer à une tentative d’éloigner le « jour du jugement », note Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph, au prix d’une décision de maintenir les taux d’intérêt en deçà de leur niveau « naturel » qui résulterait d’un marché libre. Ce n’est qu’une façon de « tendre l’élastique en empruntant la richesse du futur » et, « à un moment donné, il faudra bien avaler l’amère pilule », note-t-il. Celle d’avoir par trop vécu à crédit.
 

Risques liés à la hausse des taux : la Fed en accepte certains, pas d’autres

 
Il est intéressant de noter que l’hésitation de la Fed est dictée par cette situation internationale et par les risques encourus par les pays étrangers : l’Europe, les pays émergents.
 
Elle semblait tout à fait disposée à remettre la pression sur les Etats-Unis en dehors de ce risque. Or, note Bob Adelmann du New American, une analyse par la Deutsche Bank des douze cycles de resserrement des taux enregistrés depuis 1950 montre qu’ils sont invariablement associés à une baisse de la croissance qui commence dans les six à dix-huit mois de la hausse.
 
Dans une économie plus fragile que l’administration Obama ne veut le reconnaître, c’est un risque réel : il n’y a jamais eu aussi peu de personnes employées depuis des décennies, ce qui laisse rêveur devant le taux affiché de 5,1 % de chômeurs, et la création d’emplois – 200.000 par mois – peine à compenser les emplois détruits sur la même période. Les carnets de commande sont en mauvaise forme, la production manufacturière aussi. Est-ce le moment de faire supporter aux Etats-Unis le triplement, en quelques années, des intérêts à payer sur sa dette massive ? Ils avoisineront le millier de milliards de dollars de par an ; soit un quart du revenu total de l’administration. Et c’est sans parler de la charge à supporter par les administrations des Etats et même les particuliers.
 
Cela, la Fed était donc prête à le mettre en place sans états-d’âme, au risque de privilégier des pays moins endettés comme la Chine et en relâchant la tension sur l’Europe plus compétitive face à des Etats-Unis tenus en laisse. Il ne s’agit pas, notons-le bien, d’une décision démocratique ; le sort des pays et des ménages, loin de se décider au niveau de la politique ou même des responsables nationaux de l’économie, repose entre les mains de quelques technocrates. Tout se passe comme si l’on donnait du lest ici, qu’on relâchait la pression là, pour favoriser tel bloc ou tel autre. Par cycles, pour mieux aligner tout le monde…
 
Tout cela est-il aussi efficace que semblent le croire les décideurs ? On peut se poser la question : il y a les impondérables, le facteur humain, les rivalités, les motivations contraires dans un monde où l’ensemble du pouvoir n’est pas concentré en un seul lieu. Mais il faut aussi avoir à l’esprit que lorsque les responsables des Banques centrales, qui ne se cachent pas de vouloir tirer les ficelles de l’économie, promettent des emplois, ou de la croissance, une inflation maîtrisée ou au contraire une inflation un peu boosté, et que les résultats ne suivent pas, rien ne prouve que leurs promesses étaient sincères au départ. Ce que l’on voit surtout, et quasiment partout, ce sont des pays qui « s’exposent » sur le marché de la dette, au risque d’être privés de leur indépendance politique et de leur souveraineté nationale.
 

Anne Dolhein