La légende contemporaine de Martin Luther, une insulte à l’histoire selon une chercheuse espagnole

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Maria Elvira Roca, philologue et historienne qui a déjà fait beaucoup pour dénoncer la légende noire de l’Inquisition, vient de publier un article sur Martin Luther à l’occasion du 500e anniversaire de l’initiateur du grand schisme de la Réforme aujourd’hui célébré jusque par l’Eglise catholique. C’est une véritable légende contemporaine qui entoure l’histoire authentique du moine rebelle : elle en conteste les points un par un.
 
L’historienne ne croit pas que Martin Luther ait réellement, il y a 500 ans, cloué ses thèses sur l’église de Wittenberg. « Beaucoup de choses font que l’on peut en douter : les références à cet acte de défi sont arrivées bien plus tard à mesure que le personnage de Luther était enrichi et mythifié dans le cadre du schisme qu’il a suscité. Pero, si non è vero, è ben trovato. Il est beaucoup moins héroïque de l’avoir fait par courrier – et c’est très probablement ce qui est arrivé – en envoyant son texte de protestation à l’évêque de Mayence. »
 

On a oublié la vraie histoire de Martin Luther

 
Pour Maria Elvira Roca, « Le schisme luthérien est la manifestation d’un problème politique : le maintenir dans la sphère du religieux obscurcit totalement sa compréhension ». Luther a été, selon elle, le grand serviteur des oligarchies au service d’un « féodalisme tardif qui a maintenu l’Allemagne dans un état d’arriération et de pauvreté ».
 
Martin Luther, serviteur de la liberté ? Elle n’y croit pas un instant : il suffit de voir comment Luther s’est retourné contre les paysans qui critiquaient le pouvoir des seigneurs en appelant à la violente répression de leur « révolte des Rustauds ». 100.000 victimes…
 
Elle poursuit, à propos de la liberté religieuse et du libre examen, « icônes linguistiques » inventées par Luther, en expliquant qui n’ont pas eu de réalité historique :
 
« Il n’est pas nécessaire de réfléchir beaucoup pour savoir où va se nicher la liberté luthérienne. Si une telle chose avait jamais existé, ne serait-ce qu’en théorie, les catholiques ou d’autres factions protestante y auraient eu droit. Si le chrétien est libre d’interpréter les textes sacrés, alors l’interprétation catholique est possible elle aussi et doit être acceptée. Et elle aurait dû être respectée conformément à la “liberté religieuse” que Luther et ses diacres prêchaient. (…) Ce qui est sûr, c’est que ce nouveau clergé a créé une version du christianisme qui devint la seule acceptable ; toutes les autres furent interdites et poursuivies – la religion catholique, mais aussi les anabaptistes, les calvinistes, les mennonites, etc. »
 

La légende oublie Martin Luther l’antisémite

 
« Furieusement antisémite », Luther a servi de modèle aux nazis, rappelle l’historienne. « La Nuit de cristal, premier grand pogrom en 1938, a eu lieu pour célébrer le 450e anniversaire de sa naissance. » Et de rappeler que le philosophe allemand Karl Jaspers estime que le programme nazi était préfiguré dans les écrits de Luther qui n’hésitait pas à écrire : « Nous devons d’abord mettre le feu à leurs synagogues et leurs écoles, enterrer et recouvrir d’ordures ce que nous nous ne brûlerons pas, pour qu’aucun homme ne voie plus jamais de ni pierre, ni cendres. »
 
« Lors des élections de 1933, Hitler a concouru avec une superbe affiche ou l’image de Luther et la croix gammée étaient côte à côte. Les célébrations luthériennes des nazis furent spectaculaires. C’est avec une même férocité que Luther a encouragé et justifié le fait de brûler les sorcières, ce qui a fait en Allemagne pas moins de 25.000 victimes. (…) Il y a tant de milliers, de millions de morts liées à cette affaire il vaut mieux ne pas faire de comptes ».
 
Ces choses ne sont pas nouvelles, mais en parvenant à les faire circuler dans la grande presse madrilène – El País en l’occurrence – Maria Elvira Roca vient opportunément rappeler à quel point la célébration de Luther cette année, surtout par l’Eglise catholique, est une farce.
 

Jeanne Smits