La panique de Davos face au populisme : comment récupérer ce « précariat », victime de la mondialisation ?

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Il y avait le prolétariat. Voici le précariat, cette nouvelle catégorie de travailleurs engendrée par la mondialisation et ses exigences impitoyables : instabilité, fluidité, imprévisibilité, incertitude. Un professeur à l’université de Londres, Guy Standing, présente le problème aux éminents lecteurs du site du Forum économique mondial de Davos. Il tente de fournir ainsi à l’oligarchie globaliste des réponses face à l’émergence d’un phénomène qui selon lui nourrit le basculement vers ce « populisme » qui affole l’hyper-classe, du Brexit à Trump en passant par Le Pen ou l’AfD allemande. Panique chez les promoteurs de la mondialisation ?
 
« Nous sommes au milieu d’une transformation globale, de la construction douloureuse d’une économie de marché mondialisé », explique Standing en constructiviste appliqué. Et de se lamenter en analysant en quoi, pour ces travailleurs précaires dont le statut – il se garde bien de l’écrire – rejoint celui des ouvrières à façon du XIXe siècle, la vie est singulièrement difficile.
 

La mondialisation exige le précariat

 
Ces précaires n’ont pas l’assurance de travailler sur le long terme. Ils passent une partie de leur temps à chercher du travail, temps qui ne leur est pas rémunéré. Ils travaillent sous contrat court voire zéro heure, dans l’économie internet genre Uber, sous des contrats à temps partiel non souhaités… « Le plus inquiétant, découvre Standing, est que ce précariat ne détient aucune identité professionnelle ni aucune histoire propre qui puisse nourrir son existence ; ce qui engendre une insécurité existentielle. » Il ne s’agirait pas d’une classe inférieure pour autant, rectifie notre universitaire, ou d’une classe sociale aux marges d’un système qui ne parviendrait plus à l’assimiler. Non, c’est le produit incontournable du système techno-marchand déterritorialisé, qui met en concurrence tous avec tous : « Le capitalisme mondialisé exige une force de travail qui réponde à ses propres caractéristiques », tranche Standing.
 
Or le prix politique se révèle élevé. Evidemment, Standing se garde de reconnaître qu’il est toujours risqué pour un groupe dirigeant de réduire toute société à sa seule dimension économique. S’il identifie bien les origines sociales d’une dislocation du système, il persiste à voir en lui l’acmé du développement humain. La sécularisation de l’Espérance accomplie.
 

Dans le précariat, les « pires » sont bien sûr les déclassés nostalgiques

 
Or ce précariat est un chaudron brûlant. Il y a ceux qui sont sortis par le bas de la classe ouvrière et qui souffrent de ne pas avoir ce que leurs parents ou leurs voisins possèdent. Standing commente, dans la parfaite langue de bois moralisatrice de ses lecteurs : « On peut les qualifier d’atavistes, parce qu’ils regardent en arrière, se sentent frustrés d’une réalité ou d’un passé imaginaire. Sans grande éducation, ils sont sensibles aux sirènes populistes qui jouent sur leurs peurs et s’en prennent aux “autres” : migrants, réfugiés, étrangers ou tout autre groupe aisément stigmatisé. »
 
Ces affreux déclassés « ont soutenu le Brexit et ont dérivé partout vers la droite radicale. Ils continueront tant qu’une nouvelle politique progressiste ne se sera pas tournée vers eux ». Manque de chance, ce sont eux qui se détournent des « progressistes », ce parti du Bien qui les aime au point de vouloir les faire disparaître.
 

Ne surtout pas blâmer les migrants

 
Un second groupe serait formé des « nostalgiques ». Ce sont d’après Standing les migrants et les minorités constituées en groupes, qui se sentent privés « d’un présent, d’un pays, d’une appartenance ». La plupart sont politiquement passifs « mais parfois la pression devient trop forte et ils explosent de rage ». « Il serait grossier de les en blâmer », nous intime Standing. Même quand leur « rage » consiste à vouloir imposer la charia ? Notre sociologue-économiste se tait.
 
Le troisième groupe du précariat serait constitué des « progressistes », doués mais frustrés d’un futur inaccessible : « Ce sont les gens qui ont suivi des études, qui se sont vu promettre par leurs parents, leurs professeurs et leurs élus qu’ils feraient une grande carrière. Ils réalisent qu’ils ont acheté le mauvais ticket de loterie et se retrouvent sans avenir et accablés de dettes. » Pour Standing, ce groupe « est dangereux », mais « d’une façon plus positive » car « ils ne soutiendront probablement pas les populistes ». Ouf. Non, dégoûtés des vieux partis ou des syndicats, « ils sont intuitivement à la recherche d’une nouvelle “promesse politique de paradis” ». Tout est dit, l’oligarchie est invitée à prendre la place des clercs.
 

Panique : ils n’ont pas pu bloquer le Brexit ou Trump…

 
L’espoir de notre universitaire pour oligarques alpestres est bien sûr placé dans ces précaires « progressistes », derrière lesquels on devine les millions de geeks de l’internet et les galériens des programmes informatiques. Commentaire : « Depuis longtemps, ces progressistes se sont détournés de la politique classique, par une abstention croissante. Mais cela a changé depuis 2011, même si ça n’a pas été suffisant pour bloquer le Brexit ou pour éviter l’élection de Trump. » Heureusement pour Standing, ce groupe fragile mais prometteur aurait « commencé à redéfinir l’avenir, rassemblant son énergie pour faire revivre la grande trinité des Lumières : Liberté, Egalité et Fraternité » (ces trois derniers noms en français dans le texte). Devant les grandes catastrophes, réveillons les spectres de l’illuminisme maçonnique et de la magie techno-marchande.
 
Feuille de route conclusive : « Nous vivons une période pleine de confusion. Il est temps pour les responsables politiques et pour la communauté internationale de fournir des réponses, faute de quoi ils resteront sur le bord du chemin et laisseront la place à d’autres. » A d’autres qui ont choisi de ne pas se claquemurer à Davos, entre fantasmes de dictature mondialisée et terreur d’être emportés par la tempête qui s’annonce.
 
Monsieur Standing a bien fait le travail pour lequel on le paie. Lui, dispose d’un contrat en béton pour mettre de l’huile dans les rouages. Mais est-il encore temps ?
 

Matthieu Lenoir